“Nous, Palestiniens, sommes un peuple libre et nous n’accepterons jamais d’être les esclaves de qui que ce soit.” : Déclaration d’Anan Yaeesh le 26 février 2025

Anan Yaeesh est un militant palestinien de 37 ans, originaire de Tulkarem en Cisjordanie. Actif lors de la seconde intifada, il a été incarcéré pendant 4 ans dans les prisons sionistes et blessé gravement après une embuscade des forces spéciales coloniales en 2006. En 2013, il quitte la Palestine pour se rendre en Norvège avant de s’installer en Italie en 2017 et d’y obtenir un titre de séjour en 2019. Fin Janvier 2024 il est arrêté par la police italienne dans la ville de l’Aquila, où il réside, puis transféré en détention dans la prison haute sécurité de Terni pour collaboration avec les Brigades de Tulkarem, organisation liée aux Brigades des Martyrs d’Al Aqsa (un des groupes armés du Fatah).

Le 2 avril prochain débutera son procès, et nous encourageons toutes les organisations, soutiens, militant•es et personnes solidaires du peuple palestinien et de sa résistance à soutenir Anan Yaeesh par le biais d’actions, de lâchés de banderoles, de collages d’affiches, de vidéos de soutien, etc. Le même jour, Georges Abdallah, communiste libanais et combattant de la résistance palestinienne incarcéré en France depuis 1984 alors qu’il est libérable depuis 1999, fêtera son 74ème anniversaire. Faisons de cette date une mobilisation large, appelant à la libération de Georges Abdallah, Anan Yaeesh, des Holy Land 5, de Mahmoud Khalil, des Filton 18 et de tous•tes nos camarades incarcéré•es dans les prisons impérialistes, normalisatrices et réactionnaires, pour leur participation ou leur soutien à la résistance du peuple Palestinien !

Nous vous partageons ci dessous, la déclaration d’Anan Yaeesh, du mercredi 26 février, lors de l’audience préliminaire en vue de son procès.


Déclaration d’Anan Yaeesh le mercredi 26 février, lors de l’audience préliminaire en vue de son procès, à la Cour de L’Aquila :

Je souhaite commencer par mes salutations à la Cour et à tous les présents.

Il y a toujours la loi, mais aussi l’esprit de la loi ; ainsi, je voudrais demander à l’honorable juge de m’accorder le minimum de droit humain envers mon pays, en observant une minute de silence pour les âmes des enfants, des femmes et des martyrs de la Palestine.

Tout d’abord, je tiens à affirmer ma confiance dans le système judiciaire italien et à en reconnaître la légitimité. Cependant, je m’oppose à être jugé en Italie, car je suis palestinien et je n’ai commis aucun crime ni en Italie ni dans aucun autre pays. Mon dossier, en tant que Palestinien, est connu des autorités de sécurité italiennes, et j’ai obtenu le permis de séjour en Italie ainsi que la protection spéciale après que ma demande d’asile a été rejetée par le tribunal de Foggia. Par conséquent, Monsieur le Président, je considère mon arrestation et mon procès ici comme illégitimes, parce que l’arrestation elle-même, depuis le tout début, a été effectuée en contradiction avec le droit international humanitaire, la charte des Nations Unies, la Convention de Genève et les deux protocoles additionnels, et tout ce qui en découle est également illégal ; ce qui est fondé sur l’illégitimité est en effet illégitime. Si vous reconnaissez la légitimité de l’État de Palestine, alors la demande d’extradition faite à mon encontre en janvier de l’année dernière aurait dû être présentée par le gouvernement de mon pays. Si, en revanche, vous considérez la Palestine comme un territoire illégalement occupé par une puissance coloniale, alors la résistance est un droit légitime et vous ne devriez pas m’arrêter ici pour cette raison.

Malheureusement, Monsieur le Juge, j’ai pris connaissance de vos observations sur l’affaire et, avec regret, j’en ai déduit que vous considérez le Palestinien comme un terroriste non pour la résistance légitime qu’il mène contre un État occupant, mais parce que vous reconnaissez Israël comme un État ami. Si le pays occupant en question avait été un autre, par exemple la Russie, vous auriez reconnu la légitimité de la résistance palestinienne. Vous ne me jugez pas en fonction du droit international, mais en fonction de vos relations diplomatiques, simplement parce qu’Israël est considéré comme un allié du gouvernement italien, un partenaire commercial, et que vous considérez légitimes toutes les actions qu’il mène. Il vaudrait alors mieux changer le nom des cours internationales et humanitaires en “Cours des amis”.

Vous voulez que je me défende des accusations portées contre moi, mais j’ai honte de chercher l’acquittement pour des accusations qui, pour moi, représentent un motif d’honneur. Je ne veux pas me défendre de l’accusation d’avoir des droits et de les avoir revendiqués, ou d’avoir tenté de libérer mon peuple et mon pays de l’oppression coloniale. Je jure que je n’ai pas l’intention d’être acquitté de la légitime résistance contre l’occupation sioniste. La résistance palestinienne est l’un des phénomènes les plus nobles connus de l’histoire. Au contraire, j’ai honte de me retrouver dans une pièce chaude, même en prison, alors que des enfants de Gaza meurent de froid, de faim et de soif. J’ai honte du bon traitement reçu des autorités pénitentiaires ici, alors que mes frères prisonniers dans les prisons israéliennes subissent les pires tortures, oppressions et sévices.

Monsieur le Juge, sur tous mes documents délivrés en Italie, il n’est pas mentionné le nom « Palestine », mais celui de « Territoires occupés ». Ainsi, vous savez que cette terre est occupée et, par conséquent, en vertu des conventions signées par votre pays, vous devez considérer la résistance contre l’entité occupante comme légitime. Pourquoi, alors, je me retrouve aujourd’hui détenu par vos soins ?

En tant que partisan palestinien, je suis contraint de constater qu’en termes politiques, le monde adopte deux poids, deux mesures : celui qui est le plus fort et soutenu par les États-Unis est celui qui prévaut. Mais la Justice, le droit, utilise-t-il également les mêmes critères de jugement, deux poids, deux mesures, ou bien ce seront les lois qui prévaudront dans les salles de Tribunal ?

Serait-il juste, si on considère les colons qui occupent la terre de Palestine sans droit ni légitimité comme des civils, simplement parce qu’ils ne portent pas l’uniforme de l’armée israélienne, d’avoir le même jugement vis-à-vis de la résistance palestinienne, elle aussi composée de civils et non de militaires, car la Palestine ne possède ni un État, ni une armée pour se défendre contre les agresseurs ? Les deux utilisent des armes et tuent ; la seule différence étant que la résistance palestinienne défend sa terre, son peuple et ses droits déniés, et ne tue pas d’enfants, de femmes ou de civils, sauf par erreur. Au fil des ans, ces erreurs n’ont jamais dépassé un pour cent, tandis que les colons attaquent systématiquement les civils sans défense. Depuis des années, ils tuent des femmes et des enfants, les brûlant même dans leurs maisons, comme ils l’ont fait à Hébron en tuant plus de trente fidèles dans la mosquée d’Ibrahim, ou comme ils l’ont fait avec la famille Dawabsha, avec Iman Hejju, avec Mohammad al-Durrah, ou encore comme ils l’ont fait dans le village de Jatt le 16 août et à bien d’autres occasions, dans le but de susciter la terreur parmi les Palestiniens et de les contraindre à quitter leur terre ; les colons suivent les enseignements de la Haganah et de l’Irgun. Rien ne peut en témoigner mieux que ce qui a été récemment déclaré dans une lettre par le directeur du Shin Bet israélien, qui a reconnu que les colons sont des groupes terroristes et que les autorités israéliennes devraient les arrêter et les réprimer. Cependant, la réponse de Benjamin Netanyahu a été de fournir aux colons plus de 10 000 autres fusils.

Mais après tout, que peut-on attendre de Netanyahu, reconnu par la Cour pénale internationale comme criminel de guerre pour les massacres commis contre les Palestiniens ? La Cour de La Haye a émis un mandat d’arrêt contre lui s’il venait en Europe, mais malgré cela, le gouvernement italien a déclaré qu’il serait le bienvenu en Italie et a rejeté la décision de la Cour, en niant sa légitimité. C’est le gouvernement qui a décidé de m’arrêter à la demande israélienne, me qualifiant de terroriste. À la lumière de cela, je peux affirmer que je ne vois aucune loi dans ce pays qui ne soit celle du plus fort ; tout le reste n’est que fiction, imposée de force aux plus faibles.

Lors de la première audience d’extradition de février 2024, j’ai demandé à la Cour d’appel et au procureur général de ne pas remettre le contenu de mes téléphones portables aux Israéliens, car ils contenaient des informations confidentielles que je détenais en tant que résistant palestinien, en tant que commandant partisan. On m’a répondu que cela ne se produirait pas, car ils étaient conscients que nous étions en guerre et que l’Italie était neutre. Cependant, j’ai été surpris de savoir qu’en avril dernier, toutes les informations contenues dans mes téléphones ont été transmises aux Israéliens. De cette manière, vous avez violé tous les principes de sécurité et le droit international lui-même, devenant ainsi de fait des complices des Israéliens dans cette guerre, les aidant à réprimer les légitimes aspirations d’un peuple opprimé. Les femmes de toute la terre n’ont pas été capables de donner naissance à des résistants comme les Palestiniens.

Monsieur le Juge, toutes les nations et toutes les armées du monde se sont alignées contre nous, pensant liquider notre cause. Mais notre cause ne prendra jamais fin tant qu’il y aura un seul enfant palestinien en vie. Nous retrouverons nos droits. Nous ne demandons de pitié à personne, nous ne nous inclinons devant personne, même au prix d’être tous tués, arrêtés ou déportés. Les Palestiniens ne baisseront pas la tête ni ne mendieront de pitié, car nous avons la raison de notre côté. Et si personne ne nous rendra nos droits en vie, nous croyons qu’après la mort, nous serons devant un jugement qui sera le plus juste : celui de Dieu, qui ne niera le droit de personne et redonnera à chaque opprimé ses droits, qu’il soit fort ou faible, car tous, le jour du jugement, seront égaux.

Monsieur le Juge, par le passé, j’ai été soumis des dizaines de fois à la torture. J’ai aussi été victime de tentatives d’assassinat de la part d’Israël, tant en Palestine qu’à l’étranger. Mon corps porte onze balles et plus de quarante éclats d’obus ; je n’ai pas un os qui ne soit pas fracturé. Je n’ai pas de passé, si ce ne sont quelques souvenirs et des photos d’amis tués par l’occupation, et d’une amie exécutée de sang-froid sous mes yeux. J’ai une famille que je ne vois pas depuis de longues années et deux parents morts sans avoir réalisé leur rêve de nous revoir une dernière fois. J’ai une patrie dévastée, un peuple déplacé, même nos maisons ont été démolies par les bulldozers israéliens. Cependant, je n’ai jamais fait un pas en arrière ni hésité à revendiquer le droit de mon pays à la liberté, et je n’ai jamais baissé la tête devant personne. Ceci parce que je crois fermement en cette cause. Qu’est-ce que cela pourrait être que d’être tué pour la liberté de mon pays et de mon peuple ? Qu’est-ce que cela pourrait être que de passer des années en prison pour ma cause ? Surtout en considérant qu’il y a plus de 10 000 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, et que je fais partie intégrante d’eux. S’il y a quelque chose me rend triste, c’est que tous mes compagnons ont eu l’honneur de tomber en martyrs, en luttant pour la Palestine, nourrissant de leur sang cette terre de paix et d’amour, violée par l’occupation sioniste. Et je n’étais pas à leurs côtés.

Nous n’aimons pas la mort ; au contraire, nous sommes un peuple qui aime la vie plus que tout. Cependant, nous préférons la mort avec dignité et honneur à la vie dans l’humiliation, avec nos droits niés. Monsieur le Juge, nous croyons que la Palestine le mérite et que notre bien-aimée Jérusalem a un prix élevé que chaque Palestinien est prêt à payer de son âme.

Lorsque la Palestine appelle, blessée, elle n’a que nous, ses enfants, prêts à la défendre avec notre âme et notre sang. Celui qui ne défend pas sa propre mère lorsqu’elle a besoin de lui, demain n’aura pas le droit d’être enterré dans sa propre terre, arrosée du sang des martyrs. C’est un fils indigne, qui sera rejeté par sa propre terre et ne ressentira jamais la chaleur, ni vivant, ni mort.

Vous avez tous une patrie dans laquelle vivre en tranquillité et en sécurité, à l’exception de nous, les Palestiniens. Notre patrie vit en nous, et nous sommes prêts à sacrifier notre âme pour la défendre. C’est elle qui nous donne dignité et honneur, et cela ne peuvent le comprendre que ceux qui sont libres sur cette terre ; nous sommes un peuple qui ne se rend pas, c’est la victoire ou la mort.

Comment pouvez-vous m’accuser de terrorisme, alors que vous reconnaissez la légitimité du mouvement Fatah, dont il existe des bureaux et des représentations dans le monde entier, y compris en Italie ? N’est-ce pas une attitude fausse et hypocrite ? L’Italie a également accueilli le leader et fondateur de notre mouvement au Parlement italien à deux reprises. À cette occasion, il est venu en Italie vêtu de son uniforme militaire et armé, et depuis l’Italie, il a prononcé un discours qui a été entendu dans le monde entier. Il en a été de même pour l’actuel président, Mahmoud Abbas. Si le regard aveugle de la justice affirme que les résistants palestiniens sont des terroristes et non des partisans, il validait la politique du plus fort, la loi de la jungle, où le plus fort et le plus brutal l’emportent.

Monsieur le juge, le peuple italien n’est pas et ne sera jamais notre ennemi ; il mérite tout le meilleur et notre respect, c’est un peuple ami qui a toujours soutenu la cause palestinienne. Nos ennemis sont les Israéliens qui occupent notre terre, et personne d’autre. L’entité israélienne est une entité occupante et terroriste, qui ne respecte pas et n’a jamais respecté, au cours de son histoire, les lois internationales. Elle a une histoire pleine de trahisons. Ils ont assassiné, au fil des années, de nombreux Palestiniens dans le monde entier : en Norvège, en Hongrie, en Bulgarie, ici même en Italie, en Malaisie et dans de nombreux pays arabes. Ils ne reconnaissent aucune loi qui ne soit la leur, aucune légitimité qui ne soit la leur et ils considèrent tous ceux qui ne sont pas Israéliens comme leurs subordonnés. Aujourd’hui, ils qualifient les organisations des Nations Unies de terroristes, comme l’UNRWA, et l’ONU d’un repaire d’antisémites, et avec une insolence totale, ils attaquent aussi le Pape avec la même accusation infamante. Celui qui ne s’aligne pas sur eux devient un ennemi à viser.

Nous, Palestiniens, sommes un peuple libre et nous n’accepterons jamais d’être les esclaves de qui que ce soit. Ces derniers jours, sous les yeux du monde entier, l’armée israélienne a déplacé plus de 40 000 Palestiniens de leurs maisons à Tulkarem, brûlant des maisons, détruisant des routes, des hôpitaux, tuant des femmes et des enfants ; il en va de même à Jénine. Ils continuent aussi d’occuper maintenant, alors-même que je suis dans cette salle, commettant les pires massacres contre des civils sans défense, tandis que vous qualifiez notre défense de terrorisme ; pourquoi êtes- vous devenus aveugles et sourds à ce qui se passe ? Pourquoi ne vous exprimez-vous pas ?

Monsieur le juge, l’entité sioniste tue et détruit en Palestine depuis 1947, et non depuis le 7 octobre. Mais le monde est resté immobile et silencieux, et la douleur n’est ressentie que par ceux qui reçoivent la blessure.

Nous nous trouvons face à une violence de type squadristes, nazie-fasciste, tout comme le peuple italien a fait face à l’agression et à la violence nazie allemande. Cependant, la différence entre nous et vous est que, après environ 20 ans, vous avez réussi à vous libérer, tandis que nous, après 75 ans, nous nous retrouvons encore à résister. Monsieur le juge, si la résistance palestinienne, légitimée par toutes les cours internationales, à laquelle l’Italie a adhéré et reconnaît légitimité, est aujourd’hui considérée comme du terrorisme, alors, selon le même principe, la résistance italienne contre Mussolini, le fascisme et l’Allemagne nazie devrait aussi être qualifiée de terrorisme.

Monsieur le juge, au cours de son histoire, l’occupation israélienne n’a respecté ni les Résolutions du Conseil de sécurité ni les décisions de la Cour internationale. Pouvez-vous me dire où sont passés les Accords d’Oslo et de Camp David, et où sont passées les résolutions du Conseil de sécurité 242 et 338 ? Pouvez-vous recenser les Palestiniens tués au cours de l’agression israélienne depuis 1947 jusqu’à aujourd’hui ? Ou le nombre de réfugiés chassés ? Que dit votre droit et votre loi sur cela ?

Monsieur le juge, la mère palestinienne est comme toutes les mères de cette terre. Imaginez- vous chaque matin, envoyer votre enfant à l’école, lui préparer à manger et, au moment de le retrouver à la maison, le voir revenir enveloppé dans un drap blanc, tué par un soldat israélien, et devoir le serrer pour la dernière fois. Imaginez, à Gaza, un père avec sa femme et neuf enfants qui se trouvent sans nourriture. Le père sort chercher quelque chose à manger ; à son retour, il retrouve toute sa famille morte sous les décombres, tuée par un bombardement sioniste.

L’un de vous peut-il se lever et dire qu’Israël est un État occupant, oppresseur et terroriste ? Cette vérité, vous la connaissez tous dans votre cœur, mais aucun de vous ne peut la dire à haute voix, car vous seriez accusé d’antisémitisme, vous perdriez votre travail ou vous pourriez vous retrouver à partager avec moi la table du déjeuner en prison, avec une accusation de terrorisme. C’est pourquoi je dis et répète que peut-être les Palestiniens sont les seuls libres dans ce monde d’esclaves.

Vive la Palestine libre et arabe.
Vive Jérusalem, sa capitale éternelle.
Paix à l’âme des martyrs et des enfants de Palestine.
Nous serons toujours la première ligne de défense jusqu’à la libération.


En savoir plus sur Samidoun : réseau de solidarité aux prisonniers palestiniens

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