La position centrale du mouvement des prisonniers palestiniens dans la lutte de libération de la Palestine

Riverway Law / LE DOSSIER DU HAMAS

Concerne : Demande de levée de proscription entre : 

Harakat al-Muqawamah al-Islamiyyah (Hamas), le requérant

et

la Secrétaire d’ État à l’Intérieur, la répondante

Rapport sur la position centrale du mouvement des prisonniers palestiniens dans la lutte de libération palestinienne

par Charlotte Kates 

INSTRUCTIONS

J’ai été chargée par Riverway Law de fournir un rapport sur des questions relevant de mon expertise et ce, afin d’appuyer une demande adressée à la secrétaire britannique à l’Intérieur en vue de lever la proscription qui frappe actuellement Harakat al-Muqawamah al-Islamiyyah (le « Hamas »).

Ce rapport d’expertise examine la position centrale des prisonniers politiques palestiniens dans la lutte de libération du peuple palestinien des conditions coloniales de peuplement de son occupation. Les prisonniers palestiniens ont été célébrés et soutenus par des mouvements de résistance depuis l’époque du Mandat britannique jusqu’à l’époque contemporaine, particulièrement sous le système israélien de l’arrestation administrative – un système d’arrestation arbitraire hérité des autorités coloniales britanniques. Tous les mouvements de résistance, dans leur combat contre Israël, formulent constamment des demandes de libération de leurs prisonniers, en s’engageant souvent directement dans des prises d’otages israéliens afin de forcer de telles libérations. Au fil des années, les organisations palestiniennes peuvent avoir fait un certain nombre de concessions à Israël, mais elles n’ont jamais abandonné leurs prisonniers.

 

QUALIFICATIONS

Je rédige ce rapport à titre personnel.

Je suis la cofondatrice du Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens. Dans ce contexte, j’ai rédigé et produit de nombreux rapports sur la situation actuelle des prisonniers palestiniens ainsi que sur la lutte historique des prisonniers palestiniens et leur rôle en tant que prisonniers faisant partie de la résistance. Une grande partie de mon travail dans ce domaine est disponible sur samidoun.net.

J’ai pris la parole internationalement à des centaines d’événements, forums et activités concernant la situation actuelle et le rôle politique du mouvement des prisonniers palestiniens, y compris dans des universités, centres d’étude, conférences et parlements du monde entier, entre autres au Portugal, au Brésil et au Parlement européen.

Je me suis rendue en Palestine à de multiples reprises et j’y ai rencontré d’anciens prisonniers politiques et des familles de prisonniers politiques actuels, et j’ai produit des interviews, des rapports et des analyses de la situation à laquelle sont confrontés les prisonniers palestiniens ainsi que des analyses de leur pertinence par rapport au moment politique actuel.

Je suis récipiendaire du Debra Evenson Venceremos International Award (Prix international Debra Evenson Venceremos) de la National Lawyers Guild (Guilde nationale des avocats) des États-Unis et de l’Islamic Human Rights and Human Dignity Award (Prix islamique des droits humains et de la dignité humaine) en Iran pour le travail que j’ai réalisé en faisant connaître, en défendant et en traitant la situation actuelle et l’histoire politique des prisonniers politiques palestiniens.

Je suis active au sein de la National Lawyers Guild des États-Unis et de l’International Association of Democratic Lawyers (Association internationale des avocats démocratiques).

J’ai reçu mon diplôme en 2006 à la Faculté de Droit de l’Université Rutgers (New Jersey, EU).

 

LA POSITION CENTRALE DU MOUVEMENT DES PRISONNIERS PALESTINIENS DANS LA LUTTE DE LIBÉRATION DE LA PALESTINE

 

INTRODUCTION

La position centrale du mouvement des prisonniers palestiniens1 dans la cause de la lutte de libération de la Palestine peut difficilement être surestimée. Fréquemment présentés comme « la boussole » ou l’« autorité morale » de la cause palestinienne, les prisonniers détenus dans les geôles israéliennes, dont un grand nombre pour de très lourdes peines imposées par les tribunaux militaires ou dans le cadre d’une arrestation administrative arbitraire sans accusation ni procès, sont largement perçus comme des symboles de l’engagement de principe en faveur de la liberté et des symboles politiques palestiniens – et, en effet, des protagonistes de l’unité palestinienne2. Au-delà de leur importance politique, la question des prisonniers palestiniens touche les Palestiniens au plus profond d’eux-mêmes. Selon de nombreuses estimations, environ 40 pour 100 des hommes palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem ont passé un certain temps dans les prisons israéliennes ; avant 2005, on rencontrait des pourcentages du même ordre à Gaza3. Chaque famille palestinienne ou presque a expérimenté d’une façon ou d’une autre l’emprisonnement par les forces israéliennes, que ce soit pour une détention plus courte et un interrogatoire ou une incarcération à long terme. Si un membre immédiat de la famille n’a pas été emprisonné, il est rare de rencontrer des Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem, dans la bande de Gaza et jusqu’à un certain point des citoyens palestiniens d’Israël, qui n’ont pas eu un oncle, une tante ou un cousin emprisonné derrière les barreaux israéliens.

Du fait de l’importance politique, sociale et culturelle des prisonniers – ainsi que de la valeur sociale générale de l’action consistant à honorer comme vétérans ceux qui se sont sacrifiés pour la cause de la libération – chaque parti politique et chaque organisation de résistance de Palestine ont développé un programme en vue de leur libération. Avoir passé un certain temps dans les prisons israéliennes est une caractéristique distinctive des dirigeants de la résistance et de la politique palestiniennes4. Les libérations les plus réussies et les plus spectaculaires de prisonniers palestiniens, et particulièrement de ceux qui ont un long passé de lutte armée ou de dirigeant clé au sein des organisations palestiniennes de résistance, ont eu lieu via des échanges de prisonniers avec la résistance palestinienne. En effet, un grand nombre des opérations les plus connues et spectaculaires de la résistance palestinienne dans l’histoire, dont pas mal de détournements d’avions à la fin des années 1960 et au début des années 1970, étaient, du moins en partie,  explicitement motivées par une demande de libération de prisonniers politiques palestiniens des prisons israéliennes ou des prisons des pays occidentaux alliés à Israël et soutenant son occupation5.

Depuis 1967, plus de 800 000 Palestiniens, dont des enfants, ont été arrêtés sur base d’un ensemble de règles autoritaires promulguées, appliquées et jugées par l’armée israélienne.6 Au moment de la rédaction du présent rapport, c’est-à-dire en décembre 2024, il y a environ 10 300 prisonniers politiques palestiniens dans les prisons israéliennes. Ce nombre comprend environ 3 400 Palestiniens en détention administrative, un emprisonnement sans accusation ni procès, sur base d’un « dossier secret » et renouvelable à l’infini. Il comprend également 345 enfants prisonniers palestiniens, une centaine de femmes prisonnières palestiniennes et 200 prisonniers politiques palestiniens qui sont de la Palestine occupée ’48789. Il est évident que ce nombre est incomplet, puisque des dizaines au moins de Palestiniens de Gaza ont perdu la vie à la suite de tortures sévères dans les prisons et camps de détention de l’occupation et que cette dernière a refusé de divulguer des informations sur leurs noms et les dates de leurs décès.

En outre, par le biais de ses pratiques de confinement collectif en territoire palestinien occupé, Israël reproduit un modèle de carcéralité, une caractéristique essentielle du colonialisme de peuplement. Cela peut être défini comme un système à grande échelle de privation de liberté qui impose des conditions de captivité à des populations entières, lesquelles sont également dépossédées de leurs terres. « Avec le temps, Israël a étendu son emprise multiforme sur les Palestiniens en tant que peuple, via des mécanismes physiques, bureaucratiques et digitaux. L’emprisonnement derrière les barreaux concorde avec des techniques de confinement qui enveloppent la totalité du territoire palestinien occupé, accompagnant et facilitant la saisie arbitraire de terres et le déplacement forcé des Palestiniens. Cela a fait de l’existence des Palestiniens un « continuum carcéral » où coexistent divers niveaux de captivité : du micro-niveau de la privation individuelle de liberté, en passant par l’incarcération massive, au piégeage de la population dans des enclaves sévèrement contrôlées dans lesquelles la population occupée est confinée comme une menace pour la sécurité collective, et où toute forme de résistance à l’expansion territoriale de l’occupation et à la dépossession est réprimée ».10

Les conditions des prisonniers palestiniens constituent également une source majeure d’inquiétude pour la société palestinienne. Les politiciens israéliens, et particulièrement ceux qui sont désignés au poste de « ministre de la Sécurité publique » et qui sont par conséquent chargés du Service carcéral israélien (IPS), se vantent fréquemment dans les médias en langue hébraïque des mauvais traitements qu’ils infligent aux prisonniers palestiniens et tentent d’embellir leur profil en parlant de la façon dont ils cherchent à rendre l’existence pire encore pour ces mêmes prisonniers. Les deux derniers politiciens à avoir occupé ce poste, Gilad Erdan et Itamar Ben-Gvir, ont été des plus remarquables dans leur promotion des mauvais traitements à l’encontre des prisonniers palestiniens tout en cherchant à embellir leur profil aux yeux des secteurs de l’extrême droite et de l’ultra-extrême droite du mouvement sioniste11.

Au-delà des rodomontades des politiciens israéliens, toutefois, les prisonniers palestiniens et leurs avocats se sont souvent exprimés sur les conditions exécrables auxquelles sont soumis les Palestiniens emprisonnés par Israël. Ces conditions comprennent généralement de sévères tortures pendant les interrogatoires, le refus de traitement médical, le refus des visites familiales, une nourriture inadéquate, avariée ou inappropriée, le refus de toute forme d’enseignement pour les enfants emprisonnés, le refus de visites juridiques, les tabassages et les agressions de la part des gardiens, les violations de la vie privée des femmes prisonnières et d’autres formes encore d’agression contre la dignité humaine des prisonniers palestiniens. Alors que ce genre de traitement peut avoir eu pour but de saper ou de réprimer la résistance palestinienne, il a contribué au contraire à raffermir la culture du sumud, ou de la résilience, pendant les interrogatoires et à l’intérieur des prisons, en même temps qu’il a raffermi l’engagement en faveur de la liberté et de la libération12.

Les prisonniers palestiniens ne constituent pas seulement un ensemble de victimes individuelles de la brutalité des soldats de l’occupation ou du régime israélien. Beaucoup sont membres de partis politiques et d’organisations de résistance et ils continuent de faire leur travail clandestinement derrière les barreaux : Cela va de minuscules messages en papier, pour ainsi dire indécelables, que l’on appelle « capsules », à l’équivalent moderne des téléphones cellulaires entrés en fraude et qui ne sont guère plus qu’une carte SIM et un circuit imprimé. La plupart des organisations de la résistance palestinienne, tels le Hamas, le Mouvement du Djihad islamique, le Mouvement du Djihad islamique de Palestine, le Front populaire pour la libération de la Palestine et même le Fatah, le Mouvement national de libération, ont des branches de leurs organisations en prison, lesquelles participent à des délibérations internes, expriment leurs votes et portent un fort poids moral derrière leurs interventions dans les activités politiques en raison de leur expérience et de leurs sacrifices.13

Toutes les organisations politiques palestiniennes parlent fréquemment et ouvertement de la nécessité de libérer les prisonniers palestiniens et d’honorer leur rôle au sein du mouvement de libération. Même l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, qui, dans le cadre des accords d’Oslo, est engagée dans la « coordination sécuritaire » avec les autorités de l’occupation israélienne, continue de verser des pensions alimentaires aux familles des prisonniers, et ce, en dépit des demandes des Israéliens et de divers gouvernements occidentaux de mettre un terme à ces paiements, parce que ce soutien aux prisonniers est une importante source de légitimité populaire, pour l’Autorité, et qu’abandonner les prisonniers serait largement interprété comme un acte de trahison nationale.14

 

LE MOUVEMENT NATIONAL DES PRISONNIERS PALESTINIENS

Toutefois, outre leur rôle au sein des diverses organisations de la résistance et partis politiques de Palestine, les prisonniers palestiniens constituent ce qu’on définit généralement comme le mouvement des prisonniers palestiniens. Ce mouvement reflète l’organisation des prisonniers mêmes en vue d’obtenir leur liberté vis-à-vis des prisons israéliennes, de jouer leur rôle dans la libération de la Palestine du colonialisme, du colonialisme de peuplement et de l’occupation, et de s’engager dans des confrontations constantes et incessantes avec leurs geôliers tant à propos de ces questions importantes que dans toute une série de luttes autour des conditions de confinement et ce, via une série de tactiques  comprenant les grèves de la faim et la désobéissance civile massive. Le mouvement des prisonniers palestiniens exerce également une influence en se faisant entendre dans la politique et la société palestinienne dans son ensemble, avec ses déclarations – depuis le « Document des prisonniers », de 2006, sur l’unité nationale palestinienne, jusqu’aux appels à l’action autour de questions urgentes – qui exercent un poids significatif dans l’établissement des priorités concernant la politique et l’action.

Le mouvement des prisonniers palestiniens n’est pas un nouveau développement et, en effet, de bien des façons, il est antérieur à l’occupation israélienne. Sous le Mandat britannique en Palestine, on avait assisté en 1929 à un soulèvement palestinien à grande échelle connu sous le nom de révolution d’Al-Buraq. Au moins 900 Palestiniens avaient été emprisonnés par les Britanniques et 29 condamnés à mort pour avoir participé à la révolte.15 Il y avait eu un tel tollé du peuple palestinien que la plupart de ces sentences avaient été commuées en emprisonnement à vie, à quelques importantes exceptions près. Le 17 juin 1930, trois des tout premiers héros et symboles du mouvement des prisonniers palestiniens, Fouad Hijazi, Atta al-Zeer et Mohammed Khalil Jamjoum, étaient exécutés par les Britanniques à la prison d’Acre.

Le jour de leur exécution, les Palestiniens avaient organisé une grève générale dans toute la Palestine et des foules énormes s’étaient massées dans les grandes ville de tout le pays – à Yaffa, Haïfa, al-Khalil (Hébron) et Naplouse. Après les exécutions, leurs corps avaient été restitués à leurs familles, qui s’étaient toutefois vu refuser le droit de les enterrer dans leurs villes natales. Des milliers de Palestiniens avaient défilé dans les rues d’Acre en l’honneur de Jamjoum, Hijazi et al-Zeer, figures et symboles de la résistance palestinienne au colonialisme. La chanson écrite en guise de commémoration des trois hommes (« Depuis la prison d’Acre ») reste aujourd’hui l’un des poèmes les plus connus et les plus forts du mouvement des prisonniers palestiniens.16

En effet, le message adressé au public par Jamjoum, Hijazi et al-Zeer est de multiples façons l’écho des messages qui émergeront des prisons israéliennes près d’un siècle plus tard : « Aujourd’hui, nous sommes aux portes de l’éternité, sacrifiant nos vies pour sauver la patrie sacrée, pour la chère Palestine, nous demandons à tous les Palestiniens de ne pas oublier notre sang versé et nos âmes qui s’envoleront dans le ciel de ce pays bien-aimé et de se rappeler que nous nous sommes volontairement sacrifiés, nous et nos têtes, pour être une base de la construction de l’indépendance et la liberté de notre nation, et que la nation reste persistante dans son union et dans sa lutte pour sauver la Palestine de ses ennemis, pour garder ses terres et ne pas en vendre un seul pouce à ses ennemis, et pour que sa détermination ne vacille pas et ne soit pas affaiblie par les menaces et les intimidations et, enfin, pour qu’elle lutte jusqu’à obtenir la victoire. »17

Alors que la Nakba de 1947-1948 – la dépossession massive du peuple palestinien par les milices sionistes en train d’établir l’État palestinien sur la terre palestinienne volée – est bien connue pour les centaines de milliers de personnes dépossédées de leurs terres et forcées de fuir vers la Cisjordanie, la bande de Gaza et les pays voisins, pour ses massacres dans des villages comme  Dawaymeh et Deir Yassin, et pour la destruction de centaines de villages palestiniens, comme chaque autre incident majeur de l’agression coloniale à l’encontre du peuple palestinien, l’emprisonnement et l’exploitation de la main-d’œuvre palestinienne ont également été une caractéristique clé de l’agression.  Comme l’ont documenté Salman Abu Sitta et Terry Rempel, des milliers de Palestiniens ont été emprisonnés dans des camps de prisonniers de guerre et exploités dans le travail forcé afin d’encourager l’effort de guerre sioniste dans des conditions décrites par un responsable du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) comme étant de l’« esclavage ».18 Au moins 5 000 prisonniers palestiniens d’al-Nakba ont plus tard été expulsés de leurs terres.

Le mouvement moderne des prisonniers palestiniens, à l’instar du mouvement palestinien de libération, a débuté et pris de l’ampleur en 1967, bien qu’il eût eu  ses racines dans ces expériences précoces ainsi que dans l’emprisonnement de nombreux citoyens palestiniens d’Israël avant 1967 sous les directives de la loi martiale. En effet, la première organisation désignée comme « organisation illégale » par l’occupation israélienne a été Al-Ard, une association de citoyens palestiniens d’Israël bien déterminés à revendiquer la terre volée de Palestine.19 Aujourd’hui, l’accusation d’« affiliation à » ou de « soutien à » une « organisation illégale » – ce qui inclut tous les principaux partis politiques palestiniens, les organisations de résistance, les groupes estudiantins et même l’Organisation de libération de la Palestine, en dépit des accords d’Oslo – est l’une des accusations les plus communes sen vertu desquelles les prisonniers palestiniens sont détenus dans les geôles israéliennes.

Environ un million de Palestiniens ont été arrêtés et incarcérés par les forces d’occupation israéliennes depuis 1967 et la première ordonnance d’arrestation administrative a été émise en Cisjordanie le 3 septembre 1967.20 En même temps que le développement des factions palestiniennes comme le Fatah, le FPLF et le FDLP, leurs organisations en prison se constituaient et se développaient elles aussi. L’une des premières revendications des grèves de la faim collectives du mouvement des prisonniers palestiniens à l’intérieur des prisons israéliennes en 1969 concernait du papier et des crayons pour pouvoir écrire et, bien vite, le mouvement des prisonniers « a transformé les prisons de l’occupant en écoles révolutionnaires », en développant leurs organisations, en partageant leur savoir et en construisant un mouvement politique organisé auquel les jeunes Palestiniens allaient contribuer, et même de façon plus importante encore, après leur libération de la prison.21

 

LES BATAILLES DES ESTOMACS VIDES

L’histoire des grèves de la faim ou des « batailles des estomacs vides » qui ont caractérisé le mouvement des prisonniers palestiniens a non seulement mobilisé les prisonniers eux-mêmes mais aussi la société palestinienne plus largement tout en suscitant une attention mondiale de grande envergure. Les grèves de la faim des prisonniers palestiniens remontent à 1968, et la grève de 1969 pour le papier et les crayons a été l’une des toutes premières à bénéficier d’une large attention à l’extérieur des murs de la prison.22 Cette grève revendiquait également la fin du travail forcé et de l’obligation de s’adresser aux gardiens en leur donnant du « yes, sir » (oui, monsieur) et elle allait se terminer par une répression à l’encontre des prisonniers dont un grand nombre allaient se retrouver en confinement solitaire.

Les grèves de la faim ont continué de se développer en tant que moyen de lutte des prisonniers derrière les barreaux, y compris la première grève de la faim menée par les femmes palestiniennes emprisonnées à Neve Tirza en 1970 afin de réclamer l’accès à des produits sanitaires ainsi que la possibilité de disposer d’un peu de temps en plein air. En juillet 1970, le premier martyr enregistré du mouvement moderne des prisonniers palestiniens, Abdul-Qader Abu al-Fahm, a été tué lorsqu’on l’a alimenté de force lors d’une grève de la faim à la prison d’Asqalan : le tube d’alimentation avait été introduit dans ses poumons et non dans son estomac. Les grèves de la faim se sont poursuivies dans les années 1970 et 1980, y compris une grève de 32 jours à la prison de Nafha, en 1980, grève au cours de laquelle Rasem Halawa et Ali al-Jaafari ont perdu la vie alors qu’on les alimentait de force, mais les prisonniers allaient quand même bénéficier finalement d’une amélioration de leurs conditions.23

L’amélioration des conditions des prisonniers palestiniens a typiquement été acquise via des grèves de la faim et des actions de masse, même quand des personnalités politiques israéliennes ont de façon caractéristique cherché à séduire leur propre public en promettant des conditions pires encore pour les Palestiniens emprisonnés. L’une des grèves les plus significatives sur le plan historique a eu lieu en 1984 pendant 13 jours à la prison de Junaid, quand une grève de 800 prisonniers à obtenu l’accès à une radio et une TV communes, à des vêtements de rechange et à une nourriture de meilleure qualité cuisinée par les prisonniers eux-mêmes. Début 1987, une grève de la faim menée par plus de 3 000 prisonniers palestiniens dans diverses prisons, suite à une tentative de nouvelles autorités carcérales en vue d’annuler les acquis arrachés par les  prisonniers, a joué un rôle en aboutissant à l’Intifada des Pierres, qui allait prendre toute son ampleur le 9 décembre 1987.24

En 1992, 7 000 prisonniers palestiniens lançaient une grève de la faim, en pleine Intifada, dans de multiples prisons, ce qui allait déboucher sur la fermeture de la section d’isolement de la prison de Ramle, la fin des fouilles corporelles intégrales, la possibilité de disposer de plus d’équipement de cuisine et d’augmenter le nombre des visites familiales. Au moment où la période initiale d’Oslo touchait à sa fin et en pleine conscience que les accords d’Oslo n’avaient rapporté aucune liberté au peuple palestinien, mais uniquement un renouveau de colonisation, 650 prisonniers palestiniens au moins lançaient une grève de la faim collective en janvier 2000 pour demander que soit mis un terme aux fouilles corporelles intégrales et que soient autorisées les visites familiales. Très à l’instar de la grève de 1987, celle-ci s’inscrivait dans l’agitation croissante de la population palestinienne après des années de mise en place de la colonisation de peuplement et de promesses rompues qui allaient déboucher sur l’Intifada Al-Aqsa.25

Ces 25 dernières années, les grèves de la faim individuelles et collectives sont restées un pilier du mouvement des prisonniers palestiniens et elles ont suscité une attention externe considérable au sein de la société palestinienne, dans la région arabe et au niveau international. Des grèves de la faim collectives lancées en 2004, 2011, 2012, 2014, 2017 et 2023 ont impliqué des centaines, voire des milliers de prisonniers palestiniens, avec une série de revendications parmi lesquelles la fin de l’isolement et du confinement solitaire, la fin de la détention administrative, l’amélioration des conditions, particulièrement en tant que forme de résistance à des tentatives répétées par l’administration carcérale israélienne en vue d’annuler tous les acquis du mouvement des prisonniers au cours des décennies écoulées.

La décennie des années 2010 a été marquée elle aussi par une augmentation substantielle du nombre de grèves de la faim individuelles, le plus fréquemment autour de la question de l’arrestation administrative. D’abord introduite en Palestine dans le cadre des lois d’urgence du Mandat britannique, l’arrestation administrative a été l’une des méthodes le plus largement pratiquées par le régime israélien pour cibler les Palestiniens via l’arrestation arbitraire, particulièrement quand cette même administration s’est montrée incapable d’arracher des aveux. L’arrestation administrative est fréquemment utilisée contre des Palestiniens influents, des dirigeants de communauté, des activistes étudiants et d’autres qui sont bien en vue dans leurs communautés, et ce, dans une tentative de les écarter de la scène.

Les ordonnances d’arrestation administrative sont décrétées pour des périodes allant jusqu’à six mois d’un seul tenant. Elles sont émises par un commandant militaire et, ensuite, approuvées par un tribunal militaire, bien qu’il s’agisse davantage d’une procédure d’approbation automatique que de toute forme de procédure régulière logique. Ces ordonnances sont renouvelables à l’infini et bien des Palestiniens ont passé d’affilée nombre d’années en prison suite à de telles ordonnances d’arrestation administrative sans cesse renouvelées. Le recours à l’arrestation administrative est en augmentation constante, depuis des années.

L’arrestation administrative fait également fonction de torture psychologique sur les détenus ainsi que de châtiment collectif à l’encontre des membres de leur famille. Du fait qu’ils ne savent jamais quand ils vont être libérés de prison ou si on ne va pas les y garder indéfiniment, ils ne peuvent planifier leur avenir ni déterminer les prochaines étapes de leur vie. En outre, ils n’ont aucune possibilité significative d’appel, puisqu’on leur refuse l’accès au « dossier secret » utilisé pour justifier leur emprisonnement, et cela vaut également pour leurs avocats. Par conséquent, ils sont dans l’impossibilité de s’opposer de manière significative à tout contenu qui y figure. C’est l’usage répandu de l’arrestation administrative qui a déclenché le mouvement des grèves de la faim individuelles des années 2010.

La figure la plus en vue de ce mouvement a été Sheikh Khader Adnan. Boulanger à Jénine et membre du Mouvement du Djihad islamique en Palestine, Khader Adnan a mené avec succès quatre grèves de la faim à l’issue desquelles il a obtenu sa libération de la détention administrative. Naturellement, il n’était pas seul. Parmi bien d’autres grévistes de la faim très connus figuraient Bilal Diab, Thaer Halahleh, Hana Shalabi, Hisham Abu Hawash, Nidal Abu Aker, Bilal Kayed, Mohammed al-Qeeq, Kayed Fasfous et bien d’autres encore. Tous étaient en détention administrative et nombre d’entre eux ont obtenu leur liberté grâce à ces grèves.26

Toutefois, le régime israélien allait répondre par une répression encore accrue à cette multiplication des grèves de la faim. En 2015, la Knesset adoptait officiellement la « Loi de prévention des nuisances provoquées par les grévistes de la faim », afin d’autoriser officiellement l’alimentation des prisonniers en grève de la faim. L’administration carcérale a clairement adopté elle aussi une politique de refus de répondre aux grévistes de la faim, particulièrement durant les années d’après 2020. De moins en moins de grévistes de la faim ont été en mesure de gagner leur libération et, en de multiples occasions, les responsables israéliens ont refusé ou renié les accords qu’ils avaient conclus avec les prisonniers palestiniens et leurs avocats.27

En juillet 2022, le cas de Khalil Awawdeh, en grève de la faim pendant plus de 150 jours, a été l’une des questions principales dans l’agression israélienne contre Gaza et de la réponse de la résistance palestinienne, alors que le Mouvement du Djihad islamique et son aile armée, Saraya al-Quds, réclamaient la libération des prisonniers palestiniens. Malgré les garanties égyptiennes au sujet de la libération d’Awawdeh et de Bassam al-Saadi, un important dirigeant du mouvement, les Israéliens ont renié l’accord et ont prétendu avoir trouvé sur Awawdeh, lors de son transfert vers l’hôpital, un téléphone introduit frauduleusement, et ont finalement gardé Awawdeh en détention administrative.28

En mai 2023, Sheikh Khader Adnan est décédé après 82 jours de grève de la faim lors de son tout dernier emprisonnement dans les prisons israéliennes et après avoir refusé traitement et soins médicaux. Sa femme et plusieurs organisations de défense avaient mis en garde en disant que la situation était très pénible pour Aznan et qu’il était confronté, en effet, à un « lent assassinat » dans les prisons  israéliennes. Ces incidents ont mis en lumière les limitations de la tactique des grèves de la faim en prison afin d’obtenir la libération de Palestiniens, surtout lorsque le nombre de détenus administratifs – et de prisonniers au total – continuait d’augmenter en raison des incessantes arrestations massives, chaque jour, dans toute la Cisjordanie et à Jérusalem.29

 

L’AUTO-LIBÉRATION ET LES ÉVASIONS DE PRISONNIERS

Les grèves de la faim n’étaient pas les seuls mécanismes utilisés par les prisonniers palestiniens afin de se libérer des prisons israéliennes, puisque le mouvement des prisonniers palestiniens a sans cesse développé des plans d’évasion de prisonniers. Très à l’instar du mouvement des prisonniers dans son ensemble, ces évasions ont des racines dans la résistance palestinienne au colonialisme britannique ainsi qu’à l’emprisonnement, après la Nakba, de Palestiniens avant que n’apparaisse le mouvement national palestinien moderne.

En 1938, Issa Hajj Suleiman al-Battat, l’un des dirigeants de la révolte palestinienne de 1936-1939 contre le colonialisme britannique, qui avait combattu aux côtés de Sheikh Izzedine al-Qassam, s’était évadé de la prison d’Atlit en même temps que plusieurs autres prisonniers palestiniens incarcérés par les Britanniques en 1938. Deux décennies plus tard, la prison de Shatta – dans laquelle sont toujours détenus aujourd’hui des prisonniers palestiniens – a été le site du plus important soulèvement de prisonniers, suivi d’évasion, après la Nakba. Environ 190 prisonniers palestiniens et arabes se sont révoltés le 31 juillet 1958 à l’intérieur de la prison de Shatta, dans la vallée du Jourdain. Quelque 77 prisonniers se sont évadés après des combats acharnés au cours desquels 11 prisonniers et deux gardiens ont perdu la vie. Mohammed Jahjah, le grand-père de Zakaria Zubaidi, qui allait participer plus tard à une évasion, en 2021, était l’un des prisonniers qui s’étaient libérés eux-mêmes durant cette rébellion, et il allait ensuite participer à la direction des fedayin dans la lutte armée à Irbid, en Jordanie, avant de gagner la Syrie en compagnie des combattants.30

Le prisonnier palestinien Hamza Younes, d’Ara, au sud de Haïfa, s’est échappé des prisons de l’occupation à trois reprises, en 1964, 1967 et 1971 : de la prison d’Asqelan, puis d’un hôpital et, une troisième fois, de la prison de Ramle avant de se réfugier au Liban où il a rejoint la résistance palestinienne. En 1969, Mahmoud Abdullah Hammad, de Silwad, près de Ramallah, s’est évadé au cours d’un transfert de prisonniers. Il a échappé aux forces d’occupation pendant neuf mois avant de parvenir enfin à rallier la Jordanie.

En 1983, Nasser Issa Hamed avait 15 ans, lorsqu’il avait été emmené au tribunal de l’occupation, le 27 janvier. Ses camarades prisonniers avaient déclenché une bagarre à l’intérieur même du tribunal et Nasser s’était échappé et avant gagné Ramallah, où il s’était réfugié sur le chantier d’un projet de construction inachevé. Il s’était caché dans un puits et avait tenté de se frayer un chemin jusque chez lui, à Silwad, mais avait finalement fait demi-tour après que sa mère eut été arrêtée par les forces de l’occupation. Un mois plus tard, mis au courant de cette histoire, Majdi Suleiman Abu al-Safa s’évadait de la même façon des tribunaux de l’occupation, prenait la direction de la Jordanie, puis se rendait en Colombie et au Brésil, où il vit toujours actuellement.

Une évasion de prisonniers extrêmement significative a eu lieu le 17 mai 1987, quand Misbah al-Suri et ses camarades Sami al-Sheikh Khalil, Mohammed al-Jamal, Imad Saftawi, Khaled Saleh et Saleh Ishteiwi se sont échappés de la Prison centrale de Gaza. L’incident – et la « bataille de Shujaiyya » qui allait s’ensuivre en octobre quand les prisonniers libérés allaient mener des opérations de résistance et se battre contre des soldats israéliens – a longtemps été considéré comme l’une des étincelles de la grande Intifada de 1987, en même temps que la grève de la faim massive lancée un peu plus tôt cette même année. Les prisonniers avaient reconverti des ustensiles de cuisine en tournevis et étaient parvenus à dissimuler une minuscule scie dans une miche de pain. Les prisonniers avaient lié des draps de lit ensemble pour en faire une échelle de corde afin de descendre le long du mur de la prison et d’assurer leur libération. La date de la bataille de Shujaiyya – le 6 octobre 1987 – est désormais célébrée comme date anniversaire de la fondation du Mouvement du Djihad islamique, soulignant une fois de plus l’importance des prisonniers pour tous les secteurs du mouvement de libération de la Palestine.

Le 21 mai 1990, Omar Nayef Zayed s’évadait des prisons de l’occupation quatre ans après son arrestation, alors qu’il était transféré vers un hôpital à Bethléem. Il parvenait à atteindre la Jordanie puis, de là, en 1994, il gagnait la Bulgarie. En 2016, les forces d’occupation tentaient de le faire extrader de la Bulgarie vers la Palestine occupée et il se réfugiait à l’intérieur de l’ambassade de l’Autorité palestinienne où il était tué un peu plus tard, le 26 février 2016. Son combat contre l’extradition avait déclenché une campagne internationale qui allait le soutenir et réclamer sa liberté.

Saleh Tahaineh s’était évadé de la prison d’Ofer selon un plan compliqué impliquant son compagnon de combat Nu’man Tahaineh — plus tard lui aussi assassiné par l’occupation – et un autre prisonnier palestinien dont la libération était prévue. Saleh Tahaineh avait pris la place de ce dernier, lequel avait ensuite remarqué qu’en fait, il n’avait pas été libéré. Un peu plus tôt, il avait changé de place avec Nu’man, dont la sentence était nettement plus légère. Il avait été poursuivi et finalement tué par les forces d’occupation après avoir été capturé. Saleh aussi bien que Nu’man Tahaineh avaient été les mentors de Mahmoud et de  Mohammed al-Ardah, qui allaient diriger l’évasion du Tunnel de la Liberté, en 2021.

Le 6 septembre 2021, six prisonniers palestiniens, Mahmoud al-Ardah, Mohammed al-Ardah, Yousef Qadri, Ayham Kamamji, Munadil Nafa’at et Zakaria Zubeidi s’évadaient de la prison israélienne de « haute sécurité » de Gilboa. Des photos de soldats et de gardiens ahuris examinant un tunnel creusé en dehors de la prison par les six hommes ont largement circulé dans les médias sociaux et l’image de la cuiller – l’un des outils qui avaient servi à creuser le tunnel menant en dehors de la prison – allait devenir un symbole national de la cause palestinienne. Alors que les hommes avaient été repris, leur évasion se muait en une lueur d’espoir et de créativité et d’engagement des Palestiniens en faveur de la liberté. Les dirigeants palestiniens de la résistance et leurs porte-parole, dont Abu Obeida, la voix des Brigades Ezz el-Din al-Qassam, l’aile militaire du Hamas, le Mouvement de la résistance islamique, promettaient que les six hommes – et d’autres prisonniers qui avaient participé au soutien de leur évasion – seraient hautement prioritaires lors d’un échange de prisonniers.31

 

LA RÉSISTANCE PALESTINIENNE ET LES ÉCHANGES DE PRISONNIERS

Les échanges de prisonniers ont été le mécanisme le plus significatif du mouvement national palestinien afin de libérer de grands nombres de prisonniers palestiniens, en particulier les dirigeants nationaux en vue que, typiquement, le régime israélien n’a pas envie de libérer ou à qui il a infligé de lourdes sentences, dont la perpétuité et même plusieurs sentences à vie. En raison des finalisations d’échanges de prisonniers ayant permis de libérer des milliers d’entre eux, en particulier des dirigeants et des gens frappés de lourdes peines, sécuriser les prisonniers de guerre nécessaires pour finaliser un échange est devenu depuis des décennies une haute priorité pour les organisations de la résistance palestinienne. En tout, plus de 8 000 prisonniers palestiniens ont été libérés via des échanges et la capture d’Israéliens et spécialement de soldats ou de colons israéliens a constitué une énorme priorité pour la résistance palestinienne et dans le passé, et dans le présent, afin de mener à bien la libération de prisonniers supplémentaires.

Le 23 juillet 1968, le premier échange était mené à bien entre la révolution palestinienne et l’occupation israélienne. Le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) détournait un avion allant de Rome à Tel-Aviv et relâchait les passagers en échange de 37 prisonniers palestiniens, dont certains avec de lourdes peines et qui avaient été emprisonnés avant 1967. Le 28 février 1971, le prisonnier palestinien Mahmoud Bakr Hijazi était échangé contre un soldat israélien dans un accord d’échange entre le Fatah et l’occupation israélienne.32

Le 14 mars 1979, le Front populaire pour la libération de la Palestine – Commandement général (FPLP-CG) menait un accord d’échange avec l’occupation israélienne en vue de la libération de 76 prisonniers palestiniens, dont 12 femmes. En 1980, le prisonnier palestinien Mehdi Bseiso était libéré en échange d’un collaborateur capturé par le mouvement Fatah.

Le 23 novembre 1983, 4 560 prisonniers palestiniens et libanais détenus au Sud-Liban, dont 65 femmes palestiniennes, étaient échangés contre six soldats de l’occupation israélienne arrêtés au Sud-Liban, et ce, au cours d’un échange avec l’Organisation de libération de la Palestine.

Le 20 mai 1985, 1155 prisonniers palestiniens, dont 380 condamnés à vie, étaient libérés en échange de trois soldats israéliens capturés par le FPLP-CG. Nombre de ces prisonniers palestiniens relâchés allaient devenir plus tard des dirigeants de l’Intifada qui devait éclater en 1987. Souvent appelé l’« accord de Jibril », du nom du dirigeant du FPLP-CG Ahmad Jibril, on trouvait parmi les hommes relâchés dans cet échange Misbah al-Suri, qui allait être arrêté de nouveau plus tard, et qui avait planifié l’évasion de la Prison centrale de Gaza en 1987, Kozo Okamoto, de l’Armée rouge japonaise, Sheikh Ahmad Yassin, plus tard père spirituel du Hamas, et Ziyad Nakhaleh, l’actuel secrétaire général du Mouvement du Djihad islamique.

En septembre 1997, le Mossad tentait d’assassiner le dirigeant du Hamas Khaled Meshaal en Jordanie en recourant à une injection de poison. Deux agents du Mossad étaient arrêtés en Jordanie et, en échange de ces agents, l’État israélien libérait Sheikh Ahmed Yassin, le fondateur et dirigeant du mouvement du Hamas, à l’époque emprisonné à vie dans les geôles israéliennes. (Yassin avait été arrêté de nouveau après l’échange de prisonniers de 1985.)

En janvier 2004, lors d’un échange avec le Hezbollah au Liban, l’occupation israélienne relâchait 436 prisonniers et restituait les restes de 59 combattants en échange des restes de trois soldats de l’occupation israélienne et de la libération du trafiquant de drogue, homme d’affaires et agent potentiel des renseignements Elhanan Tannenbaum. En 2008, Samir Kountar, du Front de libération de la Palestine, et quatre combattants du Hezbollah étaient relâchés en échange des restes de deux soldats de l’occupation  israélienne au Sud-Liban, et ce, lors d’un autre échange avec le Hezbollah.

En 2011, la résistance palestinienne effectuait son échange de prisonniers le plus important depuis 1985, baptisé Wafaa al-Ahrar (Fidélité à ceux qui sont libres), au cours duquel 1 027 prisonniers palestiniens étaient libérés en échange d’un soldat de l’occupation qui avait été capturé, Gilad Shalit. Cet accord d’échange, dirigé par le Hamas et les Brigades al-Qassam Brigades, avait abouti à la libération d’un certain nombre d’importants prisonniers palestiniens frappés de longues peines, dont Yahya Sinwar, le secrétaire du mouvement du Hamas et l’un des architectes du Déluge d’Al-Aqsa, tué au combat à Gaza le 17 octobre 2024,  Hussam Badran, Ahlam Tamimi, Zaher Jabarin, Hussam Badran, Nael Barghouti, Samer Issawi et bien d’autres. L’accord Wafaa al-Ahrar est crédité d’avoir joué un rôle majeur en contribuant à développer la résistance à Gaza, surtout du fait que de nombreux prisonniers palestiniens avaient été exilés à Gaza dans le cadre de leur libération, et aussi dans la préparation d’une action militaire et d’une lutte armée avancées.

Les prisonniers de Wafaa al-Ahrar ont été maintes fois ciblés pour être arrêtés de nouveau par les forces israéliennes, y compris le prisonnier palestinien frappé d’une très longue sentence, Nael Barghouti, dont la première sentence allait lui être réimposée. Comme les prisonniers du Tunnel de la Liberté, les prisonniers de l’échange Wafaa al-Ahrar arrêtés de nouveau sont une des toutes premières priorités de la résistance palestinienne dans un échange de prisonniers.33

En outre, dans l’échange Wafaa al-Ahrar, le régime israélien a refusé de relâcher plusieurs prisonniers en vue frappés de très longues sentences, ce qui a amené les organisations de la résistance palestinienne à chercher une marge de négociation plus forte afin d’obtenir la liberté de dirigeants en vue, tels Marwan Barghouti, l’éminent dirigeant du Fatah, Ahmad Sa’adat, le secrétaire général du Front populaire pour la libération de la Palestine, Abdullah Barghouti, le prisonnier palestinien à la peine la plus lourde, avec 67 condamnations à vie, et Ibrahim Hamed, Abbas Sayyed et Hassan Salameh, des chefs militaires du mouvement du Hamas.

 

CONCLUSION

Tant que le régime israélien et son occupation illégale continueront d’emprisonner des milliers de Palestiniens, dont bon nombre sans accusation ni procès, dans des conditions extrêmes et inhumaines, les prisonniers palestiniens et leurs partis politiques et mouvements de résistance chercheront leur liberté par tous les moyens. La libération des prisonniers palestiniens est une position de consensus parmi les Palestiniens et elle bénéficie d’un solide soutien dans tous les secteurs de la société, et l’occupation israélienne a montré clairement que, depuis de nombreuses années, l’échange de prisonniers est la seule façon efficace de garantir la libération de nombres importants de Palestiniens emprisonnés et particulièrement de dirigeants nationaux palestiniens emprisonnés.

Les prisonniers palestiniens ne sont pas séparés des mouvements de résistance qui opèrent en territoire occupé, ils font partie intégrante de la façon dont la résistance opère pour toutes les factions. De bien des façons, on ne saurait insister trop sur le fait que la conscience morale du mouvement historique et contemporain pour une Palestine libre de toute colonisation de peuplement peut se trouver explicitement dans la centralité des prisonniers politiques pour chaque section de la société palestinienne.

 

LES OBLIGATIONS DES EXPERTS

Je confirme que j’ai expliqué clairement quels faits et questions mentionnés dans ce rapport sont de ma connaissance et lesquels ne le sont pas. Je confirme que les faits qui sont de ma connaissance sont véridiques. Les opinions que j’ai exprimées représentent mes véritables opinions professionnelles complètes sur les questions auxquelles elles font référence.

Je comprends que les procédures pour outrage au tribunal peuvent être engagées contre toute personne qui fait ou provoque dans un document une fausse déclaration vérifiée par une déclaration de vérité sans croire honnêtement en sa véracité.

Je confirme que je n’ai pas perçu la moindre rémunération afin de préparer le présent rapport.

 

Charlotte Kates

Cofondatrice du Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens

Tunis

Tunisie

17 décembre 2024

 

Notes

  1. Le terme « asra », utilisé pour décrire les prisonniers palestiniens, peut également se traduire par « captifs ». Il revêt un sens différent pour les personnes qui sont emprisonnées dans un contexte criminel ou social. Toutefois, nous utilisons ici le terme français « prisonniers » pour plus de clarté, en sous-entendant que le terme « prisonnier » ne signifie pas qu’il est juste que ces personnes soient emprisonnées – au contraire, il signifie que ce terme en français contribue à évoquer la réalité carcérale de l’occupation israélienne pour les Palestiniens.↩︎
  2. Norma Hashim, « Palestinian Political Prisoners in Israeli Jails: Stories of Resistance » (Les prisonniers politiques dans les prisons israéliennes: Histoires de résistance), Insight Turkey, Vol. 26, N° 1, pp. 31-40 ; Palestinian Youth Movement (Mouvement des jeunes Palestiniens), « ‘Prisoners are the Compass of Our Struggle’: why the release of Palestinian prisoners is central to our liberation » (Les prisonniers sont les boussoles de notre lutte : Pourquoi la libération des prisonniers palestiniens est-elle au centre de notre libération ?), Shado Magazine, 6 décembre 2023 : https://shado-mag.com/opinion/prisoners-release-palestine-israel-war/↩︎
  3. Al-Haq, « 17 April: Palestinian Prisoners Day, Marks Increase in Torture, Ill treatment and Administrative Detention » (17 avril: La Journée des prisonniers palestiniens marque un accroissement de la torture, des mauvais traitements et des arrestations administratives), 22 avril 2015. https://www.alhaq.org/advocacy/6538.html↩︎
  4. Samidoun Seattle, « Palestinian prisoners are the leaders of our liberation struggle » (Les prisonniers palestiniens sont les dirigeants de notre lutte de libération), 17 avril 2024, Real Change News : https://www.realchangenews.org/news/2024/04/17/palestinian-prisoners-are-leaders-our-liberation-struggle↩︎
  5. Leila Khaled, My People Shall Live: Autobiography of a Revolutionary (Mon peuple vivra : Autobiographie d’une révolutionnaire), 1973.↩︎
  6. « Arbitrary deprivation of liberty in the occupied Palestinian territory: the Palestinian experience behind and beyond bars » (La privation arbitraire de liberté dans les territoires palestiniens occupés : l’expérience palestinienne derrière les barreaux et au-delà), Rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, 19 juin – 14 juillet 2023, A/HRC/53/59 https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g23/116/61/pdf/g2311661.pdf↩︎
  7. Association Addameer de soutien aux prisonniers et de défense des droits humains, « Statistiques », 17 décembre 2024 : https://www.addameer.org/statistics↩︎
  8. Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est et Israël, « La Commission de l’ONU découvre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans les attaques israéliennes contre les installations de santé de Gaza ainsi que dans le traitement des détenus et des otages », https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/10/un-commission-finds-war-crimes-and-crimes-against-humanity-israeli-attacks↩︎
  9. Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, « Mohammed Walid Ali al-Aref martyred in Zionist prisons one week after his re-arrest » (MWAA a fini comme martyr dans les prisons sionistes une semaine après sa ré-arrestation), 5 décembre 2024 : https://samidoun.net/2024/12/mohammed-walid-ali-al-aref-martyred-in-zionist-prisons-one-week-after-his-re-arrest/↩︎
  10. « La privation arbitraire de liberté dans les territoires palestiniens occupés : l’expérience palestinienne derrière les barreaux et au-delà », Rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, 19 juin – 14 juillet 2023, A/HRC/53/59 https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g23/116/61/pdf/g2311661.pdf↩︎
  11. Dr Ramzy Baroud, « ‘Prisoners are heroes’: Being a Palestinian prisoner in Israel » (Les prisonniers sont des héros : Être un prisonnier palestinien en Israël), Middle East Monitor, 8 avril 2019 : https://www.middleeastmonitor.com/20190408-prisoners-are-heroes-being-a-palestinian-prisoner-in-israel/; Équipe rédactionnelle de Middle East Eye, « Israeli minister Ben-Gvir calls for execution of Palestinian prisoners to ease overcrowding » (Le ministre israélien Ben-Gvir réclame l’exécution des prisonniers palestiniens afin de soulager le surpeuplement), 18 avril 2024 : https://www.middleeasteye.net/news/israel-itamar-ben-gvir-calls-execution-palestinans-ease-overcrowding-prisons; Adalah, « Les organisations des droits humains en Israël et dans les territoires palestiniens occupés mettent en garde contre la dangereuse escalade des violations de droits des prisonniers palestiniens en raison des politiques radicales du nouveau gouvernement israélien », 3 mars 2023 : https://www.adalah.org/en/content/view/10795↩︎
  12. Lena Meari, « Sumud : Une philosophie palestinienne de la confrontation dans les prisons coloniales), Antidote Publishers, Belgique (2022). Version en anglais : https://doi.org/10.1215/00382876-2692182↩︎
  13. Tadamon: Organisation internationale de solidarité avec les prisonniers palestiniens, « The Palestinian Prisoners Movement: History and Experiences » (Le Mouvement des prisonniers palestiniens : histoire et expériences), 9 septembre 2023 : https://www.solidarity-ps.org/en/The_Palestinian_Prisoners_Movement↩︎
  14. Ramzy Baroud, « Instead of Freeing Palestinian Prisoners, New Scheme Aims at Punishing Their Families » (Au lieu de libérer les prisonniers palestiniens, un nouveau plan tend à punir leus familles), The Palestine Chronicle, 3 février 2022 : https://www.palestinechronicle.com/instead-of-freeing-palestinian-prisoners-new-scheme-aims-at-punishing-their-families/↩︎
  15. Samidoun, « 93 ans après l’exécution des héros de la révolution d’al-Buraq : La lutte des prisonniers contre l’impérialisme et le sionisme se poursuit! », 17 juin 2023 : https://samidoun.net/2023/06/93-years-on-the-execution-of-the-heroes-of-al-buraq-revolution-the-prisoners-struggle-against-imperialism-and-zionism-continues/↩︎
  16. Ibid. ↩︎
  17. Ibid. ↩︎
  18. Salman Abu Sitta et Terry Rempel, « The ICRC and the Detention of Palestinian Civilians in Israel’s 1948 POW/Labor Camps » (Le CICR et la détention des civils palestiniens dans les camps de prisonniers de guerre et de travail forcé en Israël 1948), Journal of Palestine Studies, Vol. 43 N° 4 (Été 2014) pp. 11-38. https://doi.org/10.1525/jps.2014.43.4.11↩︎
  19. Leena Dallasheh, « Political mobilization of Palestinians in Israel: The al-‘Ard movement » (Mobilisation politique des Palestiniens en Israël: Le mouvement al-‘Ard), January 2010 : https://www.researchgate.net/publication/293241109_Political_mobilization_of_palestinians_in_Israel_The_al-‘Ard_movement↩︎
  20. Mandy Turner, « Locked-in conflict: Israel’s repressive carceral system and the criminalisation of Palestinians was one of the catalysts for October 7 » (Un conflit verrouillé: Le système carcéral répressif d’Israël et la criminalisation des Palestiniens ont été l’un des catalyseurs du 7 octobre), Security in Context, 26 mars 2024 : https://www.securityincontext.org/posts/locked-in-conflict-israels-repressive-carceral-system↩︎
  21. Khaled al-Azraq, « Israeli prisons as revolutionary universities » (Les prisons israéliennes en tant qu’universités révolutionnaires), The Electronic Intifada, 9 décembre 2009 : https://electronicintifada.net/content/israeli-prisons-revolutionary-universities/8572↩︎
  22. Basil Farraj, « How Palestinian Hunger Strikes Counter Israel’s Monopoly on Violence » (Comment les grèves de la faim palestiniennes contrent le monopole israélien de laviolence), 12 mai 2016, Al-Shabaka : https://al-shabaka.org/commentaries/how-palestinian-hunger-strikes-counter-israels-monopoly-on-violence/↩︎
  23. Zena Al Tahhan, « A timeline of Palestinian mass hunger strikes in Israel » (Chronologie des grèves de la faim palestiniennes massives en Israël), 28 mai 2017, Al Jazeera English. https://www.aljazeera.com/news/2017/5/28/a-timeline-of-palestinian-mass-hunger-strikes-in-israel↩︎
  24. Ibid. ↩︎
  25. Ibid. ↩︎
  26. Amnesty International, « Israel/OPT: Death of Khader Adnan highlights Israel’s cruel treatment of Palestinian prisoners » (Israël / TPO : Le décès de Khader Adnan met en lumière les traitements cruels infligés par Israël aux prisonniers palestiniens), 3 mai 2023 : https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/05/israel-opt-death-of-khader-adnan-highlights-israels-cruel-treatment-of-palestinian-prisoners/↩︎
  27. Addameer, « Force Feeding Under International Law » (L’alimentation forcée dans le droit international), 16 novembre 2015. http://www.addameer.org/publications/factsheet-force-feeding-under-international-law-and-medical-standards↩︎
  28. Samidoun, « Le cessez-le-feu à Gaza : Les prisonniers palestiniens au cœur de la bataille et la Résistance »), 7 août 2022 : https://samidoun.net/2022/08/gaza-ceasefire-palestinian-prisoners-at-the-heart-of-the-battle-and-the-resistance/↩︎
  29. Amnesty International. Id.↩︎
  30. Samidoun, « Du tunnel de la liberté au Déluge d’Al-Aqsa : Les prisonniers, la résistance et la libération », 6 septembre 2024 : https://samidoun.net/2024/09/freedom-tunnel-to-al-aqsa-flood-prisoners-resistance-and-liberation/↩︎
  31. Al Mayadeen, « Hamas Military Spokesperson: No Prisoner Exchange without the 6 Gilboa Prisoners » (Le porte-parole militaire du Hamas : Pas d’échange de prisonniers sans les six évadés de Gilboa), 11 septembre 2021. https://english.almayadeen.net/news/politics/hamas-military-spokesperson:-no-prisoner-exchange-without-th↩︎
  32. Samidoun, « Cinq ans plus tard : L’accord Wafa al-Ahrar et l’échange de prisonniers), 19 octobre 2016 : https://samidoun.net/2016/10/five-years-on-the-wafa-al-ahrar-agreement-and-prisoner-exchange/↩︎
  33. Addameer, « Targeting Released Prisoners in Exchange Deals » (Cibler les prisonniers libérés dans les accords d’échange), 26 février 2024. https://www.addameer.org/news/5281↩︎

 

 

 


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