L’écrivain palestinien Khaled Barakat adresse une lettre au tribunal allemand en appel contre son interdiction politique

Vendredi 11 mars, l’appel de l’écrivain palestinien Khaled Barakat contre l’interdiction politique qui lui a été imposée par les autorités berlinoises de l’immigration en juin 2019 était soumis à un tribunal allemand. Barakat conteste cette décision politique du bureau berlinois de l’immigration de lui interdire de participer à des événements et activités politiques et sociaux, de même que l’ordre du même bureau de l’expulser du pays pour une période de quatre ans. L’interdiction politique a été suivie d’une ordonnance d’expulsion pour quatre ans, alors même qu’il avait déjà quitté l’Allemagne, et elle s’appuyait entièrement sur ses activités politiques publiques, ainsi que sur ses discours et ses écrits.

Dans une récente interview réalisée par Robert Inkalesh pour Almayadeen (en anglais), Barakat faisait remarquer :

« Ceci fait partie intégrante d’une campagne sponsorisée par l’État contre les Palestiniens qui s’organisent pour défendre leurs droits et conquérir leur liberté. L’interdiction politique qui me frappe est tombée quand je m’apprêtais à faire, en arabe et devant les organisations de la communauté arabe à Berlin, une conférence sur le prétendu « deal du siècle » de Trump. Ensuite, elle a été suivie, tout de suite après, par le refus de notre visa et, ensuite, alors même que nous avions déjà quitté le pays, une ordonnance d’expulsion a été notifiée sur-le-champ. Il s’agit ici d’une tentative de faire un exemple contre un écrivain palestinien qui s’oppose au sionisme, à l’impérialisme et au propre rôle destructif de l’Allemagne. C’est pourquoi il est important de riposter, parce que nous savons qu’ils continueront à agir de la sorte et à cibler d’autres personnes. (…) »

« Quand l’Allemagne applique des mesures racistes et discriminatoires à l’encontre de la communauté arabe en Allemagne, nous ne pouvons rester silencieux. Nous devons riposter. Cela inclut lutter contre ces mesures au sein même du système juridique, qui constitue une autre arène où nous pouvons faire entendre notre discours et défendre nos droits. Je sais que les Palestiniens seront victorieux, dans notre combat pour la libération, en dépit des forces déployées contre nous par « Israël » et ses alliés et des crimes qui se poursuivent contre le peuple palestinien. »

L’avocate de Barakat a présenté toute une série d’arguments mettant en lumière la nature illégitime de l’interdiction politique imposée à son client et le danger que cette même interdiction présente pour la liberté d’expression et d’opinion en Allemagne. Elle a également présenté une lettre que Barakat avait adressée au tribunal et rédigée en ces termes :

Aux membres du tribunal :

J’adresse cette lettre au tribunal qui se réunit en ce jour afin d’auditionner mon affaire, l’appel contre l’interdiction politique qui m’est imposée. Le but du message que je vous adresse aujourd’hui, 11 mars 2022, par l’entremise de mon avocate (…) est de rechercher la justice et l’équité. J’ai fait l’objet d’attaques racistes, constamment, en raison de mes opinions politiques et de mes principes. Combattre le racisme, la colonisation et les mauvais traitements infligés au peuple palestinien – mon peuple – a été et sera toujours la cause de ma vie.

J’ai été une voix engagée contre l’homophobie, l’antisémitisme, le racisme et le fascisme. Ces valeurs, je le sais, sont appréciées par la grande majorité des gens, en Allemagne.

Charlotte, ma femme, et moi avons vécu par périodes en Allemagne, depuis 2015, jusqu’au moment où j’ai été à tort réduit au silence et, après cela, expulsé. Durant tout ce temps, j’ai agi en conformité avec les lois. Durant ces quatre années, j’ai été confronté à de grands événements et expériences culturelles et, en même temps, j’ai également assisté à une oppression systématique dirigée par l’État contre les réfugiés, les migrants et ceux que l’on classe comme étrangers.

Le jour où j’ai été bloqué par la police, emmené dans un commissariat et confronté à une interdiction politique, j’étais en route vers un centre communautaire où, invité par des organisations arabes et africaines, j’allais faire un exposé sur l’impact de la politique américaine au Moyen-Orient. À mes yeux, il a semblé que cette action de la police à Berlin avait été menée pour le compte des EU et d’Israël, plutôt que pour celui du public de Berlin et, dans un sens plus large, de l’Allemagne, qui ne pourrait que tirer profit d’un échange quelque peu différent autour de ces questions importantes.

Mes écrits et mes activités politiques n’ont rien de secret. En fait, il est important pour moi qu’ils soient publics et connus de tous, bien visibles sous le soleil et à l’air libre, parce qu’il s’agit, je crois, de la responsabilité que j’ai d’apporter au monde un message clair : la reconnaissance et la réalisation des pleins droits de mon peuple, le peuple palestinien, doivent s’accomplir. Cela signifie mettre fin à l’apartheid et au colonialisme et cela signifie aussi l’accomplissement du droit au retour pour les réfugiés palestiniens vers leurs terres et foyers originaux, un droit que garantissent les lois internationales. Et, si mon appel à la libération de la Palestine et des Palestiniens est un crime, dans ce cas, il serait contraire non seulement à mes principes et à la réalité même, mais aussi aux lois internationales que l’Allemagne se propose de faire respecter.

Je comprends le fardeau et la complexité de l’histoire, particulièrement l’histoire de l’Allemagne nazie, et la brutalité et les massacres perpétrés contre des millions de personnes par Hitler et le régime nazi. Ma question, toutefois, est celle-ci : Pourquoi, nous, Palestiniens, devons-nous porter la responsabilité de ces atrocités et être catalogués comme antisémites parce que nous recherchons nos droits et notre liberté ?

Je veux que les nouvelles générations en Allemagne soient libres de critiquer le comportement raciste et colonialiste de l’État d’Israël, sans crainte de la persécution, de la répression ou du scandale. Il est également important pour les jeunes générations juives d’être libres d’exprimer leurs propres positions et points de vue sur le sionisme et sur Israël et de dire que la politique d’Israël ne représente pas le peuple juif.

J’ai reçu un large soutien et bien des messages de solidarité de la part d’organisations et individus palestiniens, arabes, allemands, juifs et internationaux. Ce soutien n’a pas concerné qu’un seul individu, moi-même. Au lieu de cela, ce soutien s’adresse à une cause : celle de la liberté, de l’égalité, de la libération et de la paix véritable en Palestine, du fleuve à la mer.

En tant que Palestiniens, nous avons droit à une politique, à une existence civique et civile et à une expression diverse et créative dans son caractère et dans sa tonalité. Plutôt que d’en recevoir la reconnaissance, c’est-à-dire notre pleine humanité, on nous demande de rendre comptes à propos de toutes nos déclarations, ou de les mitiger, chaque fois que nous luttons pour rectifier une grande injustice et vivre libres du colonialisme, de l’apartheid et du racisme. Ma pleine humanité et la pleine humanité du peuple palestinien dans son ensemble doivent être respectées comme étant aussi dignes des mêmes droits et protections que ceux de tous les autres sous n’importe quel modèle de législation.

Finalement, j’espère que vous me garantirez le droit à la parole et que vous protégerez ma liberté d’expression, ce droit fondamental qui est si apprécié dans votre constitution, et que vous mettrez un terme à cette injustice manifeste.

Khaled Barakat

Vancouver, Canada

11 mars 2022

Avant l’audience, des membres de Samidoun Deutschland et des supporters des droits palestiniens ont fait une déclaration de solidarité, mettant l’accent sur l’importance qu’il y a de protéger les droits palestiniens, sous les attaques qu’ils subissent en Allemagne et au niveau international :

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Depuis l’expulsion de Barakat, nombre de Palestiniens en Allemagne ont fait l’objet d’actions similaires de la part du bureau de l’immigration, lesquelles ciblaient l’expression politique en public, et même dans le privé, d’un soutien aux droits palestiniens. Des universitaires palestiniens et propalestiniens continuent à subir des tentatives systématiques en vue de les réduire au silence et de leur barrer l’accès à l’espace public. Plus récemment, Deutsche Welle – l’agence de diffusion de l’État allemand – a licencié des journalistes palestiniens et arabes en prétextant leurs messages sur leurs médias sociaux concernant la Palestine ou exprimant leur opposition aux menaces contre la liberté d’expression en Europe.

Liberté pour la Palestine. (Photo : Samidoun)

Le 9 mars, à Vancouver, au Canada, où vit Barakat, des activistes en compagnie de  Samidoun Vancouver, de la Canada Palestine Association et de BDS Vancouver – Coast Salish, se sont rendus aux consulats d’Allemagne et de France afin de remettre des lettres de protestation contre la répression qui vise toute organisation en faveur des droits palestiniens. La lettre remise au consulat d’Allemagne demandait aux autorités berlinoises de l’immigration de retirer leur interdiction politique et leur ordonnance d’expulsion à l’encontre de Barakat. La lettre demandait également au gouvernement allemand de modifier sa position vis-à-vis de la Palestine et de mettre un terme à son soutien à l’occupation israélienne.

Liberté pour la Palestine. (Photo : Samidoun)

La lettre délivrée au consulat de France condamnait la récente dissolution ou interdiction par la France de deux organisations propalestiniennes, dont le Collectif Palestine Vaincra. La délégation a rencontré brièvement les vice-consuls des deux pays et leur a délivré un puissant message de soutien à la justice en Palestine et leur demandant que leurs lettres de protestations soient remises dans les mains des responsables français et allemands.

L’affaire de Khaled Barakat n’est pas qu’un cas individuel de répression. Elle s’inscrit dans l’attaque systématique de l’organisation autour de la Palestine, de l’expression politique et de la pensée en Allemagne. L’Allemagne abrite l’une des plus importantes communautés palestiniennes en Europe, mais sa politique officielle fournit non seulement du soutien à la colonisation israélienne de la Palestine, mais elle cible durement aussi l’expression palestinienne et propalestinienne à l’intérieur même de l’Allemagne. Barakat, ses avocats et les avocats des droits palestiniens attendent une décision dans ce procès et se sont promis de poursuivre la lutte afin de défendre non seulement le droit à la liberté d’expression pour les Palestiniens, mais aussi les droits du peuple palestinien à se libérer et à obtenir sa liberté vis-à-vis du colonialisme, de l’occupation et de l’apartheid.

Traduction JeanMarie Flémal pour « Charleroi pour la Palestine ». Plate-forme Charleroi-Palestine