Mardi 29 août dans le Lot-et-Garonne, le Collectif Palestine Vaincra était invité à participer aux Rencontres d’été révolutionnaires du NPA. A cette occasion, nous avons organisé une projection du film « Fedayin, le combat de Georges Abdallah » et animé une conférence intitulée « La Palestine au cœur de notre internationalisme, pour la libération de Georges Abdallah ». Nous reproduisons ci-dessous l’intervention faite durant cet atelier.
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Merci au Nouveau Parti Anticapitaliste pour son invitation à ces rencontres. Pour nous, il est essentiel que le sujet de la Palestine soit au coeur du travail des organisations qui se revendiquent de l’internationalisme et de l’anti-impérialisme. Je parle au nom du Collectif Palestine Vaincra, une organisation de soutien à la résistance palestinienne basée à Toulouse qui est membre du réseau de soutien aux prisonniers palestiniens Samidoun et de Masar Badil (Mouvement de la Voie Alternative Révolutionnaire Palestinienne). Dans cette prise de parole, je vais exposer notre compréhension du combat pour la libération de la Palestine de la mer au Jourdain et pourquoi nous pensons que c’est un enjeu central.
La situation en Palestine occupée : une extrême droite au service d’un projet de colonisation de peuplement
Depuis la fin du XIXe siècle, la Palestine a été la cible d’un projet de colonisation de peuplement porté par une idéologie coloniale et raciste : le sionisme. Il s’inscrivait dans la droite ligne de la colonisation européenne qui accaparait des pays pour en exploiter les ressources et la main d’œuvre. Sous contrôle ottoman depuis le début du XVIe siècle, l’impérialisme occidental va porter son intérêt pour cette région avec le démembrement de l’empire ottoman au lendemain de la Première Guerre Mondiale.
C’est la convergence d’intérêts entre l’impérialisme et le sionisme qui fait de la Palestine une terre colonisée. Dès sa fondation en 1948, Israël est une colonisation de peuplement dont l’objectif est de remplacer la population indigène par un afflux de colons. Ce projet est d’abord porté par la « gauche » autour de Ben Gourion et le Parti travailliste israélien. Une « gauche » qui commettra la Nakba (la Catastrophe) de 1948. Toutefois, la colonisation sioniste n’est pas seulement un nettoyage ethnique, elle suppose aussi la tentative de destruction économique, sociale, politique et idéologique de la société palestinienne, et donc de ses capacités de résistance. C’est ce que l’on appelle un sociocide, qui est toujours à l’œuvre aujourd’hui.
Aujourd’hui, l’État d’Israël est dirigé par une extrême droite ouvertement fasciste. Cela a même provoqué une importante crise politique au sein de la société coloniale. Pour autant, la mise en œuvre de leur politique est dans la continuité, et non en rupture, avec le projet originel. Le nettoyage ethnique en cours à Jérusalem, à Masafar Yatta tout comme l’intensification de la colonisation en Cisjordanie n’est pas apparue avec l’actuel gouvernement. Par exemple, on a vu se développer depuis 20 ans des groupes sionistes armés qui ne font qu’un avec l’État. L’actuel ministre de la sécurité intérieur Ben Gvir est issu de ces forces. En effet, Israël ne peut faire progresser son objectif qu’est le contrôle total entre le Jourdain et la Méditerranée sans la présence des colons qui installent des postes avancés, harcèlent et tuent des Palestiniens afin de les expulser par tous les moyens.
Rappelons que l’histoire de la colonisation sioniste de la Palestine est jonchée de crimes et de massacres de la part des colons dès les années 30 et 40. Par exemple, l’explosion de cafés palestiniens à la grenade (comme à Jérusalem le 17 mars 1937) et le placement de bombes à retardement sur des marchés bondés (comme à Haïfa le 6 juillet 1938) sont quelques exemples de ces crimes notoires. La milice officielle des colons de l’époque, la Haganah, a commis des massacres bien pires qu’aujourd’hui qui ont semblé mériter peu de condamnations, à l’époque ou maintenant, de la part des sionistes libéraux.
Face à cette situation, le peuple palestinien est loin de s’avouer vaincu et refuse toute forme de reddition. Depuis de nombreuses années, on voit se développer une résistance multiforme, et notamment armée, dans toutes les régions de la Palestine historique : de Gaza à la Cisjordanie en passant par la Palestine de 48 et Jérusalem. Comme en juillet dernier lorsque la résistance palestinienne a put mettre en échec la plus grande offensive militaire contre la ville de Jénine depuis 20 ans. Ces avancées sont possibles grâce à un large soutien populaire qui transcende les clivages politiques, ce que l’on appelle Al Hadena al Sha’bya. Dans un récent sondage publié en juin 2023 par le Centre Palestinien de recherche sur les politiques et les enquêtes, 74% des Palestiniens interrogés soutiennent la résistance, dont 71% soutiennent les groupes armés transpartisans qui se développent dans plusieurs villes comme à Naplouse, Jénine ou Tulkarem.
Plus encore, on voit un rejet massif s’exprimer contre la voie de liquidation empruntée par la direction du Fatah et de l’OLP dès le Programme en dix points de 1974 et conclue par les accords d’Oslo et ses conséquences désastreuses en 1993. Cette voie s’incarne dans l’Autorité Palestinienne fondée en 1994 qui n’est rien d’autre que l’expression de la bourgeoisie palestinienne vendue aux intérêts de l’Etat sioniste et de l’impérialisme. L’un des exemples le plus flagrant de cette collaboration est la coordination sécuritaire entre l’Autorité Palestinienne et l’occupation israélienne. Chaque année, de nombreux résistants sont emprisonnés par l’AP ou arrêtés et remis aux autorités coloniales. En juin 2021, les forces de sécurité de l’AP ont assassiné le militant anti-corruption Nizar Banat. Mais cette politique est massivement rejetée et condamnée. Dans la même enquête précédemment citée de juin dernier, 86% des Palestiniens interrogés rejettent cette coordination et seulement 28% soutiennent la dite « solution à deux Etats ».
La Palestine, un enjeu stratégique
Face à cette situation en Palestine occupée, il est clair que notre devoir d’internationaliste est de soutenir la résistance anticolonialiste pour la libération de la terre et du peuple palestinien ainsi que la défense du droit au retour pour tous les réfugiés. Cependant, l’histoire de l’humanité est jonchée de peuples qui ont été la cible du colonialisme et de la dépossession. Les aborigènes en Australie, les amérindiens aux États-Unis, les peuples autochtones du Canada sont autant de peuples qui ont été victimes de génocides au profit de colonisations de peuplement. De la même manière, le monde regorge de millions de réfugiés chassés de leur terre en raison de guerres économique ou militaire. Pourquoi alors mettre au cœur de notre combat celui pour la libération de la Palestine ? Il est important de comprendre que la Palestine est la cible de la coalition des puissances impérialistes occidentales au cœur d’un Monde Arabe aux nombreuses ressources dans une zone géographique stratégique. Ainsi, le mouvement de libération palestinien ne peut être séparé de la libération de la région de la domination impérialiste mais aussi du mouvement anti-impérialiste en Europe tant nos intérêts sont liés.
La colonisation de peuplement sioniste – puis l’Etat sioniste en 1948 – a été appuyée, financée, armée et soutenue par les différentes puissances occidentales. Dès le début de cette colonisation, les puissances coloniales-impérialistes, la Grande-Bretagne et la France en premier lieu, ont compris l’intérêt stratégique de la constitution d’un avant-poste dans la région. Région charnière entre l’Asie et l’Europe, le Moyen-Orient est depuis longtemps un enjeu pour ces puissances. Fondateur du mouvement sioniste en Europe à la fin du XIXème siècle, Théodore Herzl annonçait ainsi son projet en Palestine : « Pour l’Europe, nous construirions là-bas une partie du mur à dresser face à l’Asie, nous pourvoirions aux avant-postes de la civilisation contre la barbarie. »
C’est dans ce sens que nous devons comprendre la portée de la visite de Netanyahu à Paris en février dernier auprès d’Emmanuel Macron. A l’issue de celle-ci, le communiqué de l’Elysée souligne que « le Président de la République et le Premier ministre israélien se sont félicités de la qualité et du caractère exceptionnel des liens qui unissent la France et Israël ». C’est cette alliance stratégique qui explique la criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine en France, notamment par le scandaleux amalgame entre l’antisionisme et l’antisémitisme. Cette même alliance qui a poussé le gouvernement français à s’acharner contre notre collectif allant jusqu’à vouloir le dissoudre. Cette procédure a été suspendue par le Conseil d’Etat, nous attendons maintenant que ce dernier l’annule. Une politique infamante dont vous avez été la cible lors des élections législatives de 2022 dans les Hauts-de-Seine lorsque le chroniquer Kevin Bossuet et ses amis vous ont insulté et diffamé simplement pour avoir affiché votre soutien au peuple palestinien.
Comprenant que l’impérialisme et le sionisme ne font aujourd’hui finalement qu’un, en dépit de contradictions secondaires, on comprend à quel point le mouvement anti-impérialiste en France doit se lier au mouvement de libération palestinien tant leurs ennemis sont les mêmes. C’est le sens de la portée internationale du drapeau palestinien qui symbolise aujourd’hui la lutte commune internationaliste, bien au-delà de la seule libération de la Palestine. C’est avec cette compréhension que nous le déployons dans chaque mobilisation sociale en France, comme lors du récent mouvement des retraites. Finalement, soutenir la Palestine, c’est nous soutenir nous-mêmes. Comme le rappelait l’intellectuel et révolutionnaire palestinien Ghassan Kanafani : « L’impérialisme a étendu son corps sur le monde entier, la tête en Asie orientale, le cœur au Moyen-Orient, ses artères jusqu’en Afrique et en Amérique latine. Où que vous le frappiez, vous l’endommagez et vous servez la révolution mondiale… La cause palestinienne n’est pas une cause pour les Palestiniens seulement, mais une cause pour chaque révolutionnaire, où qu’il soit, en tant que cause des masses exploitées et opprimées de notre époque. »
Construire une voie alternative pour la libération de la Palestine de la mer au Jourdain
Face à ce constat, nous avons comme responsabilité de construire un mouvement de solidarité avec la Palestine qui renoue avec la richesse du mouvement anti-impérialiste. Nous devons rompre avec le discours dominant qui enferme la cause du peuple palestinien à une simple question humanitaire ou qui renvoie l’issue de leur libération à la question du respect du droit international. Porter cette orientation c’est à la fois reconnaître la légitimité de l’État sioniste de facto mais c’est aussi le signe d’une profonde incompréhension de la nature de l’oppression du peuple palestinien. Les états de l’Union Européenne, les instances internationales ne seront jamais des vecteurs de l’émancipation du peuple palestinien, ni d’aucun autre. Bien au contraire, ce sont des acteurs actifs de leur oppression. A l’opposé, nous devons construire la solidarité internationale des peuples en totale indépendance. Avec cette compréhension et autour de cette approche, notre Collectif Palestine Vaincra s’est constitué afin de renforcer cette orientation autour de la défense de la libération de la Palestine de la mer au Jourdain contre l’impérialisme, le sionisme et les régimes réactionnaires arabes. L’un de nos principes est donc d’affirmer avec force et sans ambiguïté l’illégitimité de l’État sioniste en tant que projet politique, la nécessité de son démantèlement et la centralité de la résistance palestinienne pour y faire face.
Dans ce combat, les classes populaires palestiniennes jouent et doivent jouer un rôle central que ce soit en Palestine occupée mais aussi dans les camps de réfugiés au Liban, en Syrie, en Jordanie tout comme dans l’exil et la diaspora. C’est autour de la défense ce ces perspectives que nous participons au réseau international Samidoun et que nous avons participé à la fondation de Masar Badil (Mouvement de la Voie Alternative Révolutionnaire Palestinienne) à Madrid en 2021 qui a pour ambition de porter ce combat en liant les dimensions palestinienne, arabe et internationale.
Un des vecteurs essentiels de la reconstruction d’un mouvement pro-palestinien fondamentalement et radicalement anti-impérialiste est de se mobiliser aujourd’hui pour la libération de Georges Abdallah. Car bien au-delà du soutien à un homme debout et fidèle à ses principes révolutionnaires en dépit d’un emprisonnement injuste depuis 1984 en France, le soutenir c’est soutenir cette orientation qui offre une perspective émancipatrice pour les peuples de la région. Le soutenir c’est combattre l’impérialisme français qui défend ses propres intérêts dans la région, et en particulier au Liban, en le gardant emprisonné. C’est pourquoi nous pensons que cette campagne est d’une importance stratégique en France et que chaque progressiste et révolutionnaire doit la rejoindre. Nous vous invitons à l’investir toujours plus, notamment en participant le 21 octobre prochain à la grande marche devant les portes de la prison de Lannemezan où il est détenu.