Courant Alternatif : Soutenir les prisonnier·es palestinien·nes, c’est soutenir des résistant·es

Nous reproduisons ci-dessous un article du Collectif Palestine Vaincra paru dans le n°327 de Courant Alternatif, mensuel anarchiste-communiste. 

  

Du 14 au 24 janvier 2023, à l’appel de plus de 220 organisations de plus de 30 pays, s’est déroulée la semaine internationale d’actions pour la libération d’Ahmad Sa’adat, leader de la gauche palestinienne ainsi que des 4700 prisonnier·es palestinien·nes. Ces nombreuses actions de solidarité à travers le monde ont une nouvelle fois envoyé un message clair : soutenir leur libération, c’est soutenir les Palestinien·nes dans leur droit à résister à l’occupation.

  

Ahmad Sa’adat, victime de la « coordination sécuritaire »

 

S’il fallait définir la « coordination sécuritaire » entre la mal-nommée Autorité Palestinienne (AP) et l’occupation israélienne mise en place suite aux mortifères accords d’Oslo (1993), son illustration la plus emblématique serait certainement Ahmad Sa’adat, le secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Né en 1953, il est l’enfant de réfugié·es expulsé·es en 1948 de leur village détruit de Dayr Tarif (près d’Al-Ramleh). Rapidement engagé dans la lutte contre la colonisation de sa terre, il rejoint le Front populaire de libération de la Palestine en 1969. Il est par la suite arrêté de nombreuses fois et passe plus de dix ans dans les geôles sionistes. Ses responsabilités grandissantes au sein du FPLP au milieu des années 90 le conduisent à nouveau à être emprisonné suite au travail conjoint entre les forces de sécurité palestiniennes et l’armée israélienne. La coordination sécuritaire entre l’Autorité Palestinienne de Yasser Arafat et l’occupant produit ses premiers effets. Suite à l’assassinat d’Abu Ali Mustapha, secrétaire général du FPLP, le 27 août 2001 par un missile de l’armée israélienne tiré dans son bureau à Ramallah, Ahmad Sa’adat reprend le flambeau. Le 17 octobre 2001, un commando du FPLP exécute à Jérusalem, le ministre israélien du Tourisme et fasciste notoire Rehavam Zeevi pour venger la mort de leur leader. Quelques années après les accords d’Oslo, cette opération spectaculaire ravive la question de la résistance armée palestinienne et met la lumière sur le FPLP. L’Autorité Palestinienne condamne cette exécution et fait arrêter Ahmad Sa’adat le 15 janvier 2002 par les forces spéciales palestiniennes. Faute de preuves, la Haute-Cour de justice palestinienne demande sa libération quelques mois plus tard. Mais sous la pression de l’occupation et des États-Unis, Ahmad Sa’adat est maintenu enfermé illégalement dans la prison de Jéricho situé dans la vallée du Jourdain. Jusqu’au 14 mars 2006.

 

Quand l’occupation israélienne attaque la prison de Jéricho pour enlever Sa’adat

 

Selon un accord conclu entre l’occupation israélienne et l’AP, Ahmad Sa’adat et les membres du « commando Zeevi » étaient sous surveillance de gardiens britanniques et états-uniens depuis leur arrestation en 2002. Quatre ans plus tard, le 14 mars 2006, les geôliers quittent leur poste et l’armée israélienne attaque la prison. Bilan : deux Palestiniens sont tués, vingt trois sont blessés et Ahmad Sa’adat ainsi que cinq prisonniers politiques sont enlevés et emmenés vers les prisons de l’occupation. Pour justifier la désertion de ses soldats, les États-Unis accuseront l’AP d’avoir envisagé la libération de Sa’adat. Ce à quoi ce dernier réagira en disant que « le Quartet [États-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies] sert de couverture à l’occupation. Ce qui s’est passé à la prison de Jéricho a fait des gouvernements britannique et américain une partie intégrante du conflit et a enterré à jamais toute illusion sur leur neutralité. ». Ahmad Sa’adat est finalement condamné le 25 décembre 2008 par un tribunal colonial dont il refuse la légitimité. Faute de preuves quant à son implication dans l’exécution de Rehavam Zeevi, sa condamnation à 30 ans de prison suit une logique d’acharnement. Il s’agit d’ailleurs de la plus lourde peine prononcée par les tribunaux de l’occupation pour une accusation politique. Régulièrement condamné à l’isolement par les tribunaux militaires, Ahmad Sa’adat a connu plusieurs prisons et est actuellement enfermé dans celle de Shata, à Gilboa.

Ahmad Sa’adat aura donc été arrêté par les forces de sécurité palestiniennes, enfermé illégalement pendant quatre ans dans une prison de l’Autorité Palestinienne, kidnappé par l’occupation israélienne avec la complicité de puissances occidentales et finalement condamné en raison de ses engagements politiques. Il fait parti des 4700 prisonnieres et prisonnières actuellement sous les verrous de l’occupation.

 

La prison comme arme coloniale

 

Cette semaine internationale d’actions a également été l’occasion de mettre en avant la question de l’emprisonnement de masse mis en place par l’occupation. Depuis les débuts du mouvement de libération nationale palestinien dans les années 1920, l’emprisonnement a été une arme coloniale de contrôle et de domination de la population indigène en attaquant sa résistance et réprimant les militant·es de ses différents secteurs (lutte armée, mouvement syndical, organisations étudiantes et féministes, etc.).

Pour mieux comprendre le rôle central que joue l’emprisonnement dans le système colonial en Palestine, voici quelques chiffres : depuis 1967, plus de 850 000 Palestinien·nes ont été emprisonné·es, plus d’un million depuis 1948. Plus d’un tiers de la population de Cisjordanie a été enfermé au moins une fois et pratiquement toutes les familles palestiniennes ont au moins un membre qui a connu la prison. On compte aujourd’hui plus de 800 personnes en détention administrative, régime carcéral légué par le mandat britannique qui permet la détention arbitraire, sans inculpation ni procès, pour une période de 6 mois maximum et renouvelable indéfiniment. Les enfants sont également touchés par l’enfermement : ils ont actuellement 150 derrière les barreaux de l’occupation.

 

L’emprisonnement comme symbole de la violence coloniale

 

Les prisons de l’occupation israélienne sont aussi un laboratoire à grande échelle de politiques visant à réprimer et étouffer toutes formes de résistances individuelles et collectives. 95 % des prisonnier·es palestinien·nes sont soumis·es à la torture et/ou aux mauvais traitements. C’est une réalité constante de l’arrestation, de la détention et de l’interrogatoire des Palestinien·nes par l’occupation israélienne. Cela comprend les passages à tabac, la torture psychologique, les menaces d’abus et de violences sexuelles et les menaces contre les membres de la famille, mais aussi, les positions douloureuses imposées et les entraves physiques, la privation de sommeil et l’isolement. Par ailleurs, l’administration pénitentiaire pratique une politique délibérée de négligence médicale qui a déjà causé la mort d’environ 200 prisonnier·es depuis 1967, à l’image de Nasser Abu Hmeid décédé en décembre dernier suite à une mauvaise prise en charge de sa maladie. Aujourd’hui, le prisonnier et écrivain palestinien Walid Daqqa se bat contre une leucémie et exige de recevoir un traitement adapté. Sans oublier une pratique méconnue, celle de la détention par l’occupation israélienne des corps des prisonnier·es décédé·es qui constitue un crime de guerre. Aujourd’hui, plus de dix corps de prisonnier·es palestinien·nes n’ont pas été rendus à leur famille qui subissent une forme de punition collective.

 

Les prisonnier·es, cœur de la résistance à l’occupation

 

Soutenir les prisonnier·es palestinien·nes ce n’est pas seulement soutenir des victimes de la répression coloniale, mais c’est d’abord soutenir des résistant·es face à l’occupation. Depuis l’intérieur des prisons de l’occupation, ils et elles développent leur lutte individuelle et collective : regroupement par partis politiques, élection de leurs représentant·es, déclaration politique, organisation d’écoles et de formation, grèves de la faim individuelles et/ou collectives, etc. Ainsi les prisons israéliennes sont aussi de véritables « écoles de la révolution » comme le souligne le combattant palestinien Asim Ka’abi actuellement en détention administrative. « Lorsque nous passons par les prisons sionistes, les prisonnier·es y font référence comme à un passage à l’école de la révolution. Beaucoup d’entre nous entrent en prison sans éducation ni compréhension culturelle, mais notre façon de nous organiser nous donne une nouvelle culture politique pour comprendre le monde qui nous entoure. Certain·es prisonnier·es arrivent très jeunes, par exemple, ou ont l’impression d’être perdus dès leur arrestation, mais ils apprennent rapidement à connaître le régime juridique et à penser politiquement » souligne-t-il.

 

La libération des quelques 4700 Palestinien·nes doit être la priorité du mouvement de solidarité avec la peuple palestinien. Si l’occupation sioniste réprime, enferme et torture de manière systématique, c’est qu’elle a conscience du danger que représentent ces milliers de Palestinien·nes qui s’opposent à la colonisation. Soutenir Ahmad Sa’adat et les prisonnier·es palestinien·nes, c’est donc soutenir la résistance palestinienne dans son combat anticolonialiste. Exiger la libération des tou·tes les prisonnier·es palestinien·nes c’est également se battre pour celle des prisonniers du mouvement palestinien comme Georges Abdallah, communiste libanais et combattant de la résistance palestinienne enfermé depuis près de 39 ans en France ou encore Ghassan Elsashi, Shukri Abu Baker et Mufid Abdulqader qui sont emprisonnés aux États-Unis depuis 2008 pour leur action caritative en faveur des Palestinien·nes.

De New-York à Berlin en passant par Vancouver, Paris et Bruxelles, la semaine internationale d’actions pour la libération d’Ahmad Sa’adat et de tous les prisonnier·es palestinien·nes a rappelé l’importance de ce soutien. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons développer la mobilisation collective pour la libération des 4700 prisonnier·es palestinien·nes et considérer qu’elle est une question centrale de la lutte pour la libération de la Palestine de la mer au Jourdain.



Collectif Palestine Vaincra, membre du réseau international Samidoun

Toulouse, le 24 janvier 2023